Véritable institution dans le patrimoine français, la culture de l’écrit, incarnée par le livre, possède une histoire peu connue. Création, diffusion, lois, censures, c’est un véritable parcours du combattant qui a permis d’arriver à la chaine de production/diffusion du livre d’aujourd’hui. L’un des évènements majeurs, en dehors de l’invention de l’imprimerie par Gutenberg, est la mise en place de la loi du prix unique du livre, dite « Loi Lang » en 1981.
Mais que dit cette loi ? Quelle est son implication dans le monde du livre ? Et comment a-t-elle révolutionné notre rapport à la culture écrite ?
L’Histoire du livre en France
Depuis la naissance de l’écriture, les supports ne cessent d’évoluer, de la tablette de pierre au numérique, en passant par les papyrus et les livres. Objet phare du patrimoine français, le livre est devenu au cours du temps un véritable symbole.
Dans l’Histoire de France, l’accès au livre est à la fois une marque d’érudition mais également de richesse. Cet outil du savoir n’a pas toujours été à la portée de tout public, bien au contraire. Uniquement produit à l’unité jusqu’au XVe siècle, l’unique moyen de se procurer un exemplaire d’un ouvrage était de passer commande d’une copie. Seuls la royauté, les nobles et les seigneurs pouvaient s’offrir ce travail long et onéreux des copistes. Il faut attendre l’invention de l’imprimerie par Johannes Gutenberg en 1450 pour que le livre se diffuse plus largement. Les marchands de manuscrits deviennent peu à peu des libraires et lancent la chaîne de production du livre.
Johannes Gutenberg, Image Wikipédia
La diffusion du livre poursuit son évolution et devient de plus en plus importante, jusqu’à nécessiter des réglementations juridiques. Au XIXe siècle, la distinction créée entre le libraire et l’éditeur apporte le besoin de nouvelles normes. Le 5 février 1810, le Décret de « réglementation sur l’imprimerie et la librairie » fixera les codes du métier de libraire jusqu’en 1870. Soumis à la libre concurrence, les libraires voient leur activité et le nombre d’impressions contrôlés par l’Etat, ce qui favorise les tensions. Le prix des livres n’est pas fixe et de grandes variations coexistent sur le marché. En 1924, le premier acte de régulation du prix des livres est initié. L’objectif est de donner le pouvoir de décision aux éditeurs : c’est l’apparition du « prix conseillé ». Ces derniers apposaient une valeur au livre et le libraire était libre de le suivre ou non.
Face à la faible pertinence du projet sur le marché, la règlementation se durcit en juin 1978. Un accord de branche est alors établi entre les éditeurs et les libraires sur la mise en place d’un prix fixe pour certains livres, et libre pour d’autres. L’éditeur est l’unique décisionnaire. Il définit titre par titre, quel livre sera à prix fixe ou libre. Cependant, cet accord ne perdure pas. Le 23 février 1979, l’Arrêté Monory signe l’arrêt de la notion du « prix conseillé » et instaure le régime de « prix nets » qui interdit la fixation du prix des livres par les éditeurs. Les libraires ne sont plus soumis à un prix fixe et la libre concurrence reprend le dessus. Face à ce phénomène de plus en plus problématique, le nouveau Ministre de la Culture, Jack Lang, initie le projet de loi sur le prix unique du livre. Celle-ci est adoptée le 10 août 1981 et transforme entièrement le marché du livre français.
Qu’est-ce que la Loi Lang ?
La Loi n°81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre, dite Loi Lang, est la première loi instaurant un prix du livre unique en France. Celle-ci représente un tournant majeur pour le marché du livre que ce soit sur le plan économique, politique ou sociétal.
Quels sont les objectifs ?
Tout d’abord, le prix de vente au public reste uniforme sur l’ensemble du territoire français. En effet, que l’on soit à Paris, Clermont-Ferrand ou Bordeaux, le même livre aura le même prix partout. L’objectif est de favoriser l’égalité des Français devant le livre et diminuer les écarts culturels. Tout le monde doit avoir accès au patrimoine écrit de France, quelle que soit sa zone géographique, ou sa classe sociale. Cet accès au livre permet d’accroitre l’intérêt des Français pour la lecture, ce qui favorise le développement de la filière. Plus il y a de lecteurs, mieux le secteur se porte, fort d’un lectorat grandissant. De plus, la présence d’un public large permet de soutenir la diversité littéraire. Le pluralisme est alors valorisé dans le monde de l’édition. La diffusion du livre est également mieux encadrée sur le marché grâce à la loi. La distribution se fait sur un réseau décentralisé en incluant les zones de tensions économiques. La Loi Lang répond également aux attentes des libraires face à une concurrence très élevée. Elle souhaite maintenir et développer le réseau des libraires en France, qu’ils soient traditionnels ou spécialisés. Pour ce faire, la loi limite la concurrence entre les libraires indépendants et les grands distributeurs avec cette unicité du prix du livre.
Quels livres sont concernés ?
Il n’existe pas de définition légale en France d’un livre. D’ailleurs, la Loi Lang ne contient aucun critère permettant de définir l’objet concerné par son action. Cependant, l’objet du livre est déterminé par une définition fiscale. La Direction Générale des Impôts précise dans son instruction du 30 décembre 1971 (3C-14-71) la désignation du livre comme : « […] un ensemble imprimé, illustré ou non, publié sous un titre ayant pour objet la reproduction d’une œuvre de l’esprit d’un ou plusieurs auteurs en vue de l’enseignement, de la diffusion de la pensée et de la culture. ». C’est sur cette définition que s’appuie la loi Lang pour délimiter les types de livres qu’elle régit.
Voici la liste des livres concernés par la loi du prix unique :
- Œuvres traitant de lettres, d’art ou de sciences ;
- Encyclopédies et dictionnaires ;
- Manuels d’enseignement et méthodes d’apprentissage ;
- Guides touristiques ;
- Almanachs (littérature/sciences/art) ;
- Recueil d’images (avec ou sans texte) ;
- Catalogues d’exposition artistique ;
- Formulaires scientifiques, culturels ou juridiques.
Tout ce qui n’entre pas dans la définition établie par la Direction Générale des Impôts n’est pas concerné par la loi.
Voici quelques-uns des ouvrages non-régis :
- Annuaires ;
- Guides (hôtels, restaurants, villes, …) ;
- Albums de coloriage ou d’alphabet ;
- Répertoires ;
De plus, la première proposition de loi ne concerne pas les livres numériques, ce qui pose fortement problème à l’ère du numérique.
Comment le prix est-il fixé ?
Depuis 1981, les éditeurs français ont pour obligation de fixer un prix unique pour les livres qui doit être visible sur la couverture. Cependant, la loi autorise une réduction maximale de 5% sur le prix unique du livre. Ce rabais peut prendre la forme d’une carte de fidélité ou d’une mention claire sur la couverture même du livre. Toutefois, le libraire n’est pas obligé d’appliquer ce geste commercial.
En ce qui concerne la vente aux particuliers, la réduction ne peut excéder les 5% mais c’est une tout autre affaire pour les professionnels. En effet, les collectivités locales, les bibliothèques, les établissements d’enseignement et de recherche, ou encore les syndicats, peuvent bénéficier d’une réduction plus importante mais aucun chiffre n’est précisé dans le texte initial.
L’Article 5 de la Loi Lang autorise des prix inférieurs au prix unique établi, seulement si les livres sont édités, ou importés, depuis plus de deux ans et si le dernier approvisionnement remonte à plus de six mois. Ainsi, il s’agit de ne pas solder les livres en jouant sur la concurrence mais de favoriser l’écoulement d’invendus conséquents pour les libraires.
Une loi face au territoire européen
Le 10 janvier 1985, la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) valide la loi Lang par un Arrêté mais restreint son utilisation sur le marché français. Cette distinction explique que le prix unique du livre ne s’applique pas sur les ouvrages édités dans des pays comme la Belgique ou l’Angleterre. En effet, tous les pays membres de l’Europe ne sont pas égaux sur la fixation du prix du livre. Des états sont en avance sur le système français quand d’autres préfèrent la mise en place d’accords de branche.
Carte d’Europe du prix unique du livre
Pour faire face à cette disparité, la Loi Lang précise sa portée sur les livres importés de la façon suivante :
- Le prix du livre est libre pour ceux édités dans un pays de l’Union européenne mais il ne peut être inférieur au prix fixe, ou conseillé, par l’éditeur d’origine ;
- Pour les livres édités en dehors de l’Union européenne, le premier importateur fixe le prix de vente au public. Une fois fixé, ce prix doit être respecté par tous les vendeurs quels qu’ils soient ;
- La manière de fixer le prix doit être mentionnée ;
- Si le prix est fixé, il ne peut pas faire l’objet de rabais.
L’application de la loi dans le monde du livre
Depuis sa mise en vigueur, la loi Lang fait l’unanimité chez les professionnels français. Le système du prix unique du livre est devenu, en plus de 40 ans, un système parfaitement fonctionnel et efficace.
Les bienfaits de la loi Lang
Après 40 ans de service, la loi Lang a démontré de nombreux bénéfices pour l’économie du livre en France. Elle a favorisé l’égalité d’accès des lecteurs aux livres. Elle a redonné une seconde vie à la culture dans des quartiers défavorisés. De plus, elle a su redynamiser l’édition avec un lectorat plus vaste et diversifié. Grâce à cela, la densité de titres, de sujets et de styles ne cesse de s’accroitre. Les maisons d’édition valorisent de plus en plus la création littéraire et la nouveauté.
Les habitudes des acheteurs ont également évolué, favorisant avant tout les petits commerces au détriment des grandes surfaces pour l’achat de livres.
La loi du prix unique a également préservé le réseau des libraires de France en évitant des fermetures dues à une concurrence déloyale. Malgré un équilibre fragile, elle permet de maintenir la stabilité entre les producteurs de livres et les diffuseurs.
En outre, la France, forte de sa loi, est le pays qui compte le plus de librairies indépendantes au monde par habitant. En 2022, le marché du livre français se chiffre aux alentours de 1,6 milliard d’euros, chiffre à la fois stable et conséquent, démontrant les bienfaits de La loi Lang depuis son instauration.
Les limites de la loi Lang
Malgré ses qualités indéniables, la loi du prix unique n’est pas sans failles.
Tout d’abord, on remarque que la loi n’est pas forcément connue du public français mais également de certains professionnels (bibliothécaires, documentalistes, …). Pour cause, une communication trop légère sur le sujet, laissant parfois planner des doutes. Une loi peu connue, ou mal interprétée, ne peut avoir les effets escomptés ce qui fausse son application.
De plus, les diffuseurs du livre (Hachette, Gallimard, Edits, Flammarion, …) reprochent à la loi cette possibilité d’un rabais de 5%, aussi petit soit-il. En effet, elle est source d’abus et engendre dans certains cas des concurrences déloyales. Par exemple, les librairies indépendantes utilisent souvent cette réduction comme geste commercial de fidélité, entièrement gratuit pour l’acheteur. Toutefois, de grandes surfaces comme la FNAC proposent un abonnement payant avec une carte de fidélité pour profiter de ce rabais. Ce flou dans l’application de la réduction favorise les abus et la concurrence déloyale car difficilement sanctionnable.
Enfin, l’un des plus gros problèmes de cette loi reste la non-détermination du taux de rabais maximal accordé aux collectivités ou associations. L’absence de ce point favorise la concurrence entre les diffuseurs du marché et les librairies. Face à de grands groupes, les petits libraires ne peuvent s’aligner sur les rabais proposés et perdent souvent les marchés des collectivités.
Ainsi, la loi Lang a des avantages certains sur le monde du livre français et c’est grâce à elle que le marché reste stable et florissant depuis plus de 40 ans. Cependant, comme toutes les lois, elle est amenée à être révisée pour mieux s’adapter aux besoins et aux changements du marché qu’elle régit.
Une évolution constante de la loi
Durant plus de quatre décennies d’application, la Loi Lang a dû évoluer pour rester effective et garder son statut de règlementation pérenne.
Une loi toujours pertinente qui nécessite toutefois des ajustements
La problématique la plus évidente du texte de loi entré en vigueur en 1981, était la non-détermination du pourcentage de rabais autorisé pour les collectivités. Pour y remédier, une nouvelle loi est venue complétée la loi Lang le 18 juin 2003. Celle-ci détermine clairement que la réduction accordée aux bibliothèques, à l’Etat et aux collectivités ne peut excéder 9%. Par cette clarification, la concurrence entre les diffuseurs et les libraires est limitée.
Cette première étape a engendré la création de plusieurs lois au fur et à mesure des années venant compléter ou ajuster le texte primaire. En effet, un travail d’évaluation a été effectué en 2008 et 2009 par une commission de professionnels et de membres du Parlement. L’objectif était de définir la pertinence de la loi après plus de 25 ans. L’importance de cette étude était réelle car elle reprenait l’histoire du livre, l’évolution de celui-ci mais également l’impact du numérique dans le monde du livre. Une fois terminée, l’évaluation a permis de démontrer le bien-fondé de la loi Lang. Avec un bilan très positif, elle apparait comme une loi durable aussi bien sur le domaine culturel qu’économique, mais elle nécessite des réajustements. Pour ce faire, une consolidation de la politique du livre est agencée autour de la loi Lang de 1981.
Le prix du livre numérique
Face à l’arrivée fracassante du numérique dans le monde du livre, de nouvelles réglementations voient le jour. Puisque les livres numériques ne sont pas encadrés par la loi Lang de 1981, une mise au point de la loi est nécessaire.
L’Article 1 de Loi du 26 mai 2011, relative au prix du livre numérique, redéfinit l’objet d’application de la loi comme « livres déjà imprimés ou susceptibles d’être imprimés sans perte significative d’informations ». Ainsi, le fait qu’un livre numérique soit susceptible d’impression le soumet à la loi Lang. Mais c’est le 11 novembre 2011 que la loi sur le prix du livre numérique entre en vigueur. Le prix du livre numérique est alors encadré au même titre que le livre papier selon la loi du prix unique du livre.
Cette nouvelle réglementation donne également à l’éditeur « l’obligation de fixer un prix de vente des livres numériques », tout comme il le faisait pour les livres papiers. Qu’ils soient en France ou à l’étranger, cette nouvelle réglementation du prix du livre numérique permet aux acteurs du marché de parvenir à une concurrence équitable sur le territoire français.
Le e-commerce et les frais de livraison
Après l’entrée du livre numérique, c’est au tour du e-commerce d’ébranler l’équilibre instauré par la loi Lang de 1981.
La mise en place d’un site internet est un nouveau moyen pour les libraires de valoriser leur catalogue et dynamiser leurs ventes. A ce propos, le Rapport du 31 octobre 2012 sur la librairie indépendante et les enjeux du commerce électronique oblige les libraires à « répondre aux attentes de livraison des commandes dans un délai raisonnable ». Cette application a pour but de protéger les consommateurs et éviter tous les abus potentiels.
Cependant, le point le plus problématique se situe au niveau des frais de port lors de la vente à distance de livres. En effet, bien que la loi du 8 juillet 2014 encadre la vente de livres à distance, le montant des frais de port est fixé librement par les vendeurs peu importe le quota du panier. Les libraires estiment les frais postaux de l’envoi d’un livre avoisinant 6,50 euros, lors d’une commande. Les plateformes de ventes en ligne comme Amazon sont des concurrents de taille, avec un montant de frais d’expédition de 1 centime d’euro – respectant ainsi l’interdiction d’une expédition gratuite par la loi.
Après des années de concurrence déloyale, l’objectif du gouvernement est d’« instaurer une véritable équité entre les acteurs du commerce du livre » avec la proposition de loi de juin 2021. Celle-ci prévoit d’établir un montant fixe pour les frais d’envoi mais également d’obliger la distinction entre livres neufs et livres d’occasion sur l’ensemble des plateformes. La proposition de loi est entrée en vigueur sous le nom de Loi n°2021-1901 du 30 décembre 2021 dite « Loi Darcos », qui vise à conforter l’économie du livre et à renforcer l’équité et la confiance entre ses acteurs. Pour définir ce tarif minimum, une consultation publique est réalisée afin de recueillir l’avis des acteurs concernés. L’Autorité de Régulation des Communications Electronique, des Postes et de la Distribution Presse (Arcep) a défini grâce à ce procédé un montant minimum de 3 euros pour l’expédition d’un livre. A partir de 35 euros d’achat, la livraison pourra être réduite jusqu’au centime symbolique.
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Montant d’achat de livres neufs |
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Type de livraison |
Jusqu’à 35 € |
A partir de 35€ |
Livraison à domicile |
3,00 € TTC |
0,01 € TTC |
Retrait en point relais |
3,00 € TTC |
0,01 € TTC |
Retrait dans un commerce |
0€ |
Tableau récapitulatif des tarifs minimum de livraison de livres en métropole et outre-mer
Ainsi, grâce à cette nouvelle loi, la concurrence déloyale entre les librairies indépendantes et les grandes plateformes (Amazon, Fnac, …) est évitée, tout en conservant l’usage grandissant du e-commerce.
En définitive, la Loi Lang de 1981 est une loi qui favorise l’accès à la culture écrite sur l’ensemble du territoire, avec pour objectif la protection des acteurs de la chaîne. Pour en arriver jusqu’à la mise en place de la loi, l’ensemble de la chaine du livre a subi de nombreux bouleversements. En effet, la règlementation n’est pas infaillible. Elle a nécessité depuis sa création de nombreux ajustements. C’est en évoluant constamment en fonction des besoins des acteurs et du marché que la loi perdure depuis maintenant plus de 40 ans.
Cependant, depuis plusieurs années, les libraires enregistrent un nombre colossal de parutions et déplorent cette surproduction. Des rayons déjà au bord de l’explosion, avec de plus en plus de nouveautés, obligent les libraires à renvoyer des livres tout juste arrivés. Cette nouvelle problématique sera surement le nouvel axe de travail du Gouvernement. Mais comment ralentir une activité sans la fragiliser ? Certaines maisons d’édition travaillent déjà à freiner leur activité mais est-ce réalisable sur l’ensemble de la chaîne ?