L’abus de biens sociaux est un acte de mauvaise foi à des fins personnelles directes ou indirectes
Qu’est-ce que la mauvaise foi ? Le dirigeant de mauvaise foi est celui qui a conscience du caractère abusif de l’acte qu’il commet, à savoir un usage à des fins personnelles et contraires à l’intérêt social d’un bien de la société. Très peu appréciée des tribunaux, la mauvaise foi se caractérise souvent par des pièces comptables falsifiées, la non convocation aux assemblées. Ces éléments prouvent que le dirigeant a sciemment agi à l’encontre des intérêts de l’entreprise. En effet, pour les juges, le dirigeant social est supposé apprécier la portée de ses décisions et le fait d’alléguer son inaptitude, attestée par les actes délictueux commis, est un moyen de défense le plus souvent voué à l’échec.
La loi réprime le dirigeant qui agit par cupidité, “à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement”.
C’est par exemple le cas d’école du dirigeant d’une société de construction qui est également propriétaire d’une usine de briques et qui fournit celles-ci au prix fort à sa société.
De plus, la jurisprudence a élargi la notion d’intérêt personnel qui ne doit pas être entendu dans un sens purement patrimonial : les ambitions politiques du dirigeant candidat à une élection, qui utilise la structure sociale pour soutenir sa candidature, ou la simple volonté d’être agréable à un(e) ami(e), peut suffire à mettre au jour l’intérêt personnel visé par le texte.
Cette jurisprudence a reçu de nombreuses applications à l’occasion des affaires politico-financières lancées contre les industriels qui ont financé des partis politiques avec des fonds sociaux.
Les cas les plus fréquents sont sans conteste ceux où le dirigeant se fait octroyer par la société des rémunérations excessives au regard des capacités de trésorerie de cette société. C’est le cas lorsque le dirigeant, malgré une démission purement apparente, perçoit de sa seule autorité, une rémunération non prévue par les statuts (Cass. crim., 7 mars 1968 : Bull. crim., n° 80) ou, profitant de sa situation très fortement majoritaire dans la répartition du capital social, fait prendre par l’assemblée une délibération lui attribuant des appointements excessifs eu égard aux ressources et à la situation financière de la société, et qui perçoit par la suite, ces appointements (Cass. crim., 19 octobre 1971 : Bull. crim., n° 272).
Il faut citer encore deux arrêts plus récents. Le premier a été rendu à propos du président d’une société qui s’était attribué, avec une autorisation partielle du conseil, des rémunérations élevées. Or la société n’avait qu’une activité réduite. Il avait été nécessaire, pour assurer leur versement, de faire appel à des emprunts générateurs de frais financiers importants. Ces rémunérations, fixées en fonction d’un train de vie qu’il s’agissait de maintenir, étaient en outre hors de proportion avec le travail réellement fourni (Cass. crim., 6 octobre 1980 : Rev. sociétés 1981, p. 133, note B. Bouloc).
Le second est relatif au gérant de fait d’une SARL qui, pour compenser le solde de son compte courant devenu débiteur du fait du paiement par la société de dettes qui lui étaient personnelles, a fait porter à son crédit, à titre de salaire, des sommes démesurées par rapport aux possibilités de la société et absolument injustifiées par les services rendus à celle-ci (Cass. crim., 20 juillet 1982 : BRDA n° 23, 15 décembre 1982).
Dans certains cas, en revanche, l’abus de biens sociaux est écarté au motif que l’un des éléments constitutifs de l’infraction est manquant. Cet élément est souvent le bénéfice personnel de celui qui, à défaut de profiter des détournements, les facilite ou s’abstient de les dénoncer. Dans ce cas de figure, le dirigeant est le plus souvent condamné pour complicité d’abus de biens sociaux.
Est ainsi seulement coupable de complicité d’abus de biens sociaux, le président du directoire d’une société qui a préparé et facilité les agissements illicites d’un associé majoritaire, par ailleurs membre du directoire, en lui accordant notamment des signatures complaisantes de chèques et en lui donnant une procuration sur le compte bancaire de la société, ce qui a eu pour effet de favoriser une opération litigieuse et des détournements au profit de cet associé.(Cass. crim., 5 septembre 1988).
Est pareillement seulement complice, l’administrateur qui a organisé et fait fonctionner une caisse noire au profit d’autres administrateurs sans toutefois en avoir personnellement profité (Cass. crim., 15 mai 1974).
J’ai souvenir d’un dossier en expertise comptable où le patron d’une PME, faisait des allers-retours Paris-Moscou en jet-privé avec ses prospects. Dépense somptuaire crierez-vous !!! Utilisation des ressources de l’entreprise pour un confort personnel… Non ! Étant donné que le domaine d’activité engageait des investissements en centaines de millions d’euros, le patron de la firme se devait de recevoir ses invités dans un confort adapté. Le jet-privé prend alors tout son sens. En effet, impossible de voyager et de parler affaire dans un moyen de transport public. La dépense a donc été classifiée pour ce cas bien précis, en charge déductible. À noter que l’aller-retour coûtait dans les 20 000 €.
L’abus de biens sociaux devant les tribunaux
Les articles L. 241-3 et L. 242-6 du code de commerce prévoient à l’encontre des auteurs d’abus de biens sociaux, une peine d’emprisonnement et une amende. Bien qu’elles soient en apparence lourdes, elles n’ont pourtant pas permis d’enrayer l’augmentation constante du nombre de condamnations pour abus de biens sociaux ces dernières années.
Il faut noter que les cas d’abus de biens sociaux mettent en jeu des sommes d’argent très importantes. Les peines de prison fermes sont rares et l’amende ne prend pas en compte les profits réalisés. Régulièrement dans ces affaires, et notamment en matière boursière, les sommes dépassent de très loin le montant maximum de l’amende. La tentation est donc grande. Il arrive ainsi que, dans les cas les plus extrêmes, certains dirigeants provisionnent par avance le montant de l’amende sur leurs fonds personnels.
De plus, une interdiction de gérer ne peut pas être prononcée à titre complémentaire comme c’est pourtant le cas pour des infractions de droit commun telles que le vol, l’escroquerie ou l’abus de confiance. Ce n’est que lorsque la société se retrouve en cessation des paiements que les détournements d’actifs peuvent alors être qualifiés de banqueroute, qualification entraînant l’application du régime particulièrement répressif accompagnant cette infraction, qui comprend notamment les peines complémentaires classiques que sont la faillite personnelle et l’interdiction de gérer.
Les axes de défense inefficaces en cas d’abus de biens sociaux
Un dirigeant de société est toujours considéré en pleine connaissance de l’impact juridique de ses actions et est présumé diligent et apte à l’exercice de ses fonctions. Ainsi, dès lors que le quitus de gestion est donné en assemblée au gérant, il est responsable de ses actes et doit défendre les intérêts de l’entreprise. “Aucune décision de l’assemblée générale ne peut avoir pour effet d’éteindre une action en responsabilité contre les administrateurs ou contre le directeur général pour faute commise dans l’accomplissement de leur mandat.”
L’incompétence ou l’ignorance du gérant n’est pas non plus un axe de défense valable. Même son éloignement des tâches comptables ou administratives de la société ne sont pas de nature à l’exonérer de sa responsabilité. Il ne peut pas non plus, se retrancher derrière la validation juridique de l’acte par un conseil.
Si un abus de biens sociaux est avéré, le remboursement du préjudice n’efface pas le délit commis. Toutefois, si le remboursement des fonds détournés n’est en principe pas pris en compte pour apprécier la seule constitution de l’infraction, l’absence de préjudice permettra souvent d’obtenir, compte tenu de l’encombrement des tribunaux, soit un non-lieu d’opportunité, soit une dispense de peine.
Attention également aux conventions réglementées et aux bons enregistrements en comptabilité. Ce n’est pas parce que les opérations sont à la vue de tous qu’elles sortent du cadre de l’abus de bien social.
Les axes de défense possibles en cas d’abus de biens sociaux
“Hors les cas où la loi en dispose autrement, le chef d’entreprise, qui n’a pas pris part personnellement à l’infraction, peut s’exonérer de sa responsabilité pénale s’il rapporte la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires.” Évidemment, dès lors que le dirigeant participe personnellement à l’infraction, en profitant pas exemple des biens mis à sa disposition de manière injustifiée par le détenteur de la délégation de pouvoir, l’infraction est constituée.
Dans le cas où l’infraction présumée est une pratique courante dans l’entreprise, non excessive et/ou un avantage accordé à tous les salariés, la Cour de cassation peut écarter la mauvaise foi. Tel a été le cas dans une espèce où les juges ont admis le remboursement de certains frais de déplacement, non excessifs, inscrits en comptabilité et entrant dans la pratique courante qui autorisait les administrateurs à faire prendre en charge par la société, certains frais de représentation. Tel a également été le cas de versements de primes à un dirigeant et à des membres de sa famille, dès lors que ces rémunérations étaient d’usage dans l’entreprise pour tout le personnel.
La logique de gestion d’un groupe d’entreprise peut quelque fois donner lieu à réaliser des opérations qui vont contre l’intérêt d’une entreprise au profit du groupe. Dans ce cas, il peut exister des finalités économiques pertinentes même si elles sont à long terme.
Cette réalité a été prise en compte par la jurisprudence et la Cour de cassation. “Pour échapper aux prévisions des articles L. 241-3 et L. 242-6 du code de Commerce, le concours financier apporté par les dirigeants d’une société, à une autre entreprise du même groupe dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement, doit être dicté par un intérêt économique, social ou financier commun, apprécié au regard d’une politique élaborée pour l’ensemble de ce groupe et ne doit ni être démuni de contrepartie ou rompre l’équilibre entre les engagements respectifs des diverses sociétés concernées, ni excéder les possibilités financières de celle qui en supporte la charge.”
Dans cet arrêt, la Cour de cassation dégage trois critères permettant de mettre en avant le fait justificatif de groupe dès lors que le dirigeant fait effectuer par la société, un acte pouvant paraître contraire à son intérêt :
- que l’on se trouve en présence d’un groupement économique fortement structuré ne reposant pas sur des bases artificielles ;
- que les sacrifices demandés à l’une des sociétés aient bien été réalisés dans l’intérêt du groupe et aient une contrepartie. Cette condition est essentielle et la contrepartie doit toujours exister même si elle est à long terme. L’absence de contrepartie ne peut se justifier même s’il s’agit de sauver la société mère de la défaillance ;
- que les sacrifices ne fassent pas courir à la société concernée des risques trop importants pouvant grever son avenir.
Évidemment, une politique de groupe consistant à acculer à la faillite une filiale dans le seul but d’aider sa société mère sera quand même considérée comme un délit d’abus de biens sociaux.