Le débat et les résultats autour de la présidentielle auront montré que la France recèle de sensibilités différentes et que de fait, on peut s’interroger sur la pérennité de l’effet drapeau illustrant le soutien des Français au président face au danger que représente la guerre en Ukraine. Les élections législatives permettront certainement de répondre à cette question. En attendant, nos divisions apparentes ne permettent pas de savoir si nous allons bien ou pas.
Alors qu’après la stratégie du quoi qu’il en coûte, la reprise économique en sortie de crise se profilait, la guerre en Ukraine a fait vaciller la croissance tant espérée du premier trimestre 2022. Quel est pour la France, le bilan économique d’une double crise associant Covid et guerre en Europe ? La stratégie reposant sur l’accroissement de la dette fonctionne-t-elle ? Comment les français s’en sortent-ils ?
Le prix du quoi qu’il en coûte
En juin 2020, Emmanuel Macron annonçait aux Français à peine sortis du premier confinement que les entreprises des secteurs les plus touchés par la crise sanitaire seraient aidés.
« Nous avons décidé des plans massifs pour les secteurs les plus durement touchés : l’industrie automobile, l’aéronautique, le tourisme, la culture, la restauration, l’hôtellerie, et nous poursuivrons. Au total, nous avons mobilisé près de 500 milliards d’euros pour notre économie, pour les travailleurs, pour les entrepreneurs, mais aussi pour les plus précaires. C’est inédit »
La stratégie du « quoi qu’il en coûte » comprenant l’aide aux entreprises sous forme de prêts et subventions s’élèverait à 240 milliards d’euros.
D’autres dépenses sont venues s’ajouter à ces mesures pour venir compléter le dispositif. On peut par exemple considérer que les coûts du Ségur de la santé, dont l’objectif était d’améliorer le quotidien des professionnels de santé et des patients, rentre dans le calcul. Ainsi, la somme des différentes mesures prises s’élève à près de 12 milliards d’euros entre 2020 et 2022. Le plan « 1 jeune, 1 solution », aidant les entreprises en proposant des compensations de charges à chaque embauche de jeunes pour un contrat signé entre juillet 2020 et décembre 2021, est évalué à hauteur de 6,5 milliards d’euros.
Dans le même laps de temps, le gouvernement a continué la baisse des impôts de production à hauteur de 10 milliards d’euros. Au total, le « quoi qu’il en coûte » s’élèverait donc aux alentours de 300 milliards pour la sphère économique et sociale.
Le « quoi qu’il en coûte » a pris fin à l’été 2021 sauf pour certains secteurs continuant à être impactés par la crise sanitaire. C’est le cas des secteurs du tourisme, de l’hôtellerie, de la restauration, de l’événementiel et de la culture, soit 5% des entreprises françaises.
Cette stratégie a entraîné un déficit public important. Avant la crise sanitaire, la France oscillait avec un déficit public autour de 2%. En 2021, la dette s’est alourdie en valeur absolue de près de 165 milliards d’euros, à 2 813,1 milliards d’euros, tandis que le déficit public a atteint 160,9 milliards d’euros, contre 205,5 milliards fin 2020. De quoi alarmer les économistes…
Le quoi qu’il en coûte a été une mesure de sauvegarde des entreprises, génératrices de croissance. Si les mesures ont été bien calibrées, elles devraient permettre de maintenir en vie les entreprises afin qu’elles puissent reprendre une activité la plus normale possible au sortir de la crise.
D’après un rapport de France Stratégie comparant les différentes mesures prises par les grands pays européens, la France aura tenu une « position intermédiaire ». Les montants investis sont difficiles à comparer – ils dépendent du contexte économique et des régimes fiscaux propres à chaque pays – mais si l’on considère uniquement les chiffres, l’Italie se place en tête des pays européens qui ont octroyé aux entreprise les aides les plus élevées. Au total, ce sont 405,6 milliards d’euros qui ont été débloqués. Pour donner un ordre d’idée, cela représente 22,7% du PIB italien de 2019. En deuxième position, arrive l’Espagne (13,8% de son PIB), puis les Pays-Bas et le Royaume-Uni (13% du PIB environ). En comparaison, le montant des aides accordées par la France aux entreprises correspondait à 9,5% du PIB. C’est un peu plus que l’Allemagne (8,3%).
Ce mécanisme a porté ses fruits. Selon Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance de la France, le rebond de la croissance qui a atteint 7% en 2021 « efface la crise économique ». Cet optimisme était justifié, il ne prenait cependant pas en compte la future guerre en Ukraine qui a impacté l’économie française dès le premier trimestre 2022.
Toutefois, le « quoi qu’il en coûte » devra être remboursé, la gestion du déficit public redeviendra certainement une priorité à l’avenir.
Le plan de relance européen
NextGenerationEU est le nom européen du plan de relance de l’Union Européenne. Afin de lutter contre les conséquences économiques de la pandémie de Covid-19 et de préparer la transformation des économies européennes, les 27 États membres ont décidé de s’endetter en commun.
L’emprunt est de taille, il s’élève à 750 milliards d’euros (valeur non actualisée de 2018).
Ce plan de relance européen est inédit dans l’histoire de l’Union. Jamais un système équivalent de redistribution n’avait été mis en place, ni le principe d’une dette commune. Les versements des subventions aux États ont commencé dès juillet 2021.
Comment le plan de relance européen est-il financé ?
– 390 milliards sont des subventions allouées aux États par des emprunts de la Commission
– 360 milliards sont des prêts que les États peuvent contracter (ou non) via la Commission
Et pourtant avec tout ça, on a le moral en berne ? Nous savons que l’argent ne fait pas le bonheur, mais tout de même, il y contribue !
L’économie se relève plus vite que les Français eux-mêmes
Ronchonner, envier les voisins et être dans l’opposition est un sport national. Sondage après sondage, les Français affichent leur mal-être et décrivent l’horrible avenir vers lesquels ils se dirigent. A croire que les français n’aiment pas être heureux et n’aiment pas vivre en France. Toutefois, en dehors de l’information indispensable qui nous est délivrée parfois au péril de la vie des journalistes, il y a fort à parier que les médias jouent un certain rôle dans la surmédiatisation de polémiques et d’évènements négatifs, voir tragiques.
Bien que le bonheur et le bien-être soient des notions subjectives, les mesures réalisées par l’INSEE montrent une baisse importante du niveau de satisfaction de vie des français.
En 2021, les personnes de 16 ans ou plus attribuent en moyenne une note de satisfaction de 6,8 sur 10 à la vie qu’elles mènent. C’est le plus bas niveau observé depuis 2010. Jusque-là, le niveau de satisfaction oscillait entre 7,1 et 7,5 selon les années. Il était de de 7,3 en 2019 et de 7,2 en 2020, avant le premier confinement.
Donc oui, les français sont râleurs, mais les statistiques ne trompent pas. Le contexte inédit et les épreuves subies par les français ont joué sur leur niveau de satisfaction de vie.
En 2021, l’activité économique française a rebondi. On pourrait donc naturellement en conclure que les entreprises françaises vont mieux. Cependant, cette croissance ne concerne pas toutes les entreprises ni tous les secteurs d’activité.
Enfin, février 2022 marque un autre tournant. Certaines entreprises ne pourront pas faire face aux nouvelles conséquences du conflit en Ukraine.
Croissance zéro pour la France au premier trimestre
L’Hexagone entamait une forte remontée économique, malgré la crise sanitaire et l’arrivée du variant Omicron début 2022. La croissance était revenue, la stratégie du gouvernement mise en place fonctionnait ! C’était sans compter le choc de la guerre en Ukraine et l’inflation qui en a découlé, qui sont venus casser quelque peu cette belle dynamique.
Sur le premier trimestre 2022, la consommation des ménages a reculé de 1,3 %. La croissance est nulle sur cette période et enraye l’optimisme de l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) et de la Banque de France.
La production de biens et services a ralenti, en hausse de 0,5 % seulement au premier trimestre, contre 1 % les trois mois précédents. Le retour en début d’année des restrictions sanitaires liées à Omicron a fait chuter les dépenses dans l’hébergement-restauration, l’habillement et entraîner cette une baisse de la consommation des ménages.
Sur le seul mois de mars, les achats de biens, en volume, ont eux aussi diminué de 1,3%. Confrontés à des hausses de prix brutales, les foyers ont réduit de 2,5 % leurs dépenses alimentaires et de 1,6 % leur dépenses en énergie.
Il faut dire que l’inflation et la guerre sont deux mots qui font peur. Le pouvoir d’achat est la composante principale du moral des ménages. L’indicateur de confiance des ménages mesuré par l’Insee a d’ailleurs chuté en mars se rapprochant ainsi du niveau atteint fin 2018 au moment de la crise des « gilets jaunes ». La guerre en Europe provoque un sentiment d’insécurité dû notamment au degré d’incertitude rarement atteint.
L’impact de la guerre en Ukraine
La guerre en Ukraine est un évènement géopolitique majeur qui va peser sur les évolutions macroéconomiques actuelles et futures, en France comme dans l’ensemble de la zone euro.
Le conflit cause la hausse de l’inflation : « il s’agit du plus grand choc sur les produits de base connu depuis les années 1970 » avec la hausse des prix de l’énergie et d’autres matières premières. Par ailleurs, l’incertitude entourant les évolutions futures, y compris à très court terme, est également très forte.
La Banque de France a émis des scénarios macroéconomiques en s’appuyant sur les différents scénarios probables. Le scénario « conventionnel » s’appuie sur des hypothèses arrêtées le 28 février conformément à l’exercice coordonné de projections de l’Eurosystème. Le qualificatif de « conventionnel » décrit l’idée qu’il donne une photographie à une date donnée (le 28 février 2022) dans une situation qui évolue très vite. Le scénario alternatif dit « dégradé » retient des hypothèses plus défavorables sur les prix de l’énergie et sur les chocs d’incertitude qui pourraient affecter l’économie française. Il n’épuise pas pour autant le champ des évolutions possibles, y compris plus défavorables. Ces deux projections ne forment donc pas une « fourchette », mais une description de deux trajectoires possibles.
La guerre en Ukraine n’affecte pas seulement les prix de l’énergie, mais aussi ceux d’un ensemble de matières premières. La Banque de France inclut dans le scénario dégradé les conséquences sur les prix des produits alimentaires, d’une hausse du cours du blé de l’ordre de 65 % par rapport à son niveau de fin février.
Sur l’énergie, on ne peut évidemment exclure que le choc se propage non seulement par les prix, mais aussi par les quantités, avec une possibilité de rationnement sur les approvisionnements en Europe. Ce risque, clairement identifié, est très difficile à quantifier et il n’est pas intégré dans nos deux scénarios, au-delà de ce que les marchés anticipent déjà à travers la hausse des prix, pour lesquels il constitue un aléa négatif important.
Le deuxième canal examiné est celui des tensions financières et plus globalement de l’incertitude qui affectent négativement l’investissement et la consommation. Dans le scénario conventionnel, nous retenons l’hypothèse que ce canal contribuerait à réduire le PIB en France de l’ordre d’un demi-point cumulé sur les deuxième et troisième trimestres 2022, en cohérence avec la volatilité observée sur les marchés début mars. Dans le scénario dégradé, nous faisons l’hypothèse que cette volatilité s’accentuerait encore, ce qui pèserait d’un demi-point supplémentaire en 2022-2023. En ce qui concerne l’influence des marchés financiers, sa dimension locale ou mondiale ainsi que le caractère plus ou moins durable des tensions financières seront des facteurs importants déterminant in fine l’intensité de ce canal.
Enfin, le troisième canal est celui du commerce extérieur. Les échanges directs de la France avec la Russie et l’Ukraine, hors matières premières importées, représentent des montants faibles. En revanche, les chocs sur les prix des matières premières ou sur l’incertitude vont affecter l’ensemble des économies, en particulier en Europe. De ce fait, dans le scénario conventionnel, la demande adressée à la France serait réduite globalement de – 0,5 point en 2022 par rapport à mi-février. Dans le scénario dégradé, puisque nos voisins sont affectés par le même choc, la demande mondiale adressée à la France serait réduite en 2022 d’environ – 1,4 point supplémentaire.
Au-delà du canal de la demande externe, il est probable que les économies seront aussi affectées par des perturbations sur les chaînes de production. Certaines entreprises commencent ainsi à faire face à des ruptures d’approvisionnement, qui les contraignent à interrompre leur activité pendant une durée plus ou moins longue. La crise Covid puis la sortie de cette crise ont souligné l’importance de ce canal, mais également la capacité d’adaptation graduelle des entreprises. Il reste pour autant très difficile à chiffrer et demeure ainsi un aléa supplémentaire par rapport à nos deux scénarios.