La fin du Timbre Rouge

Le timbre postal ou timbre-poste est utilisé depuis plusieurs décennies dans les systèmes postaux européens. Ce petit bout de papier, devenu un élément courant du quotidien des Français, ne cesse d’évoluer – déclinaison de couleurs, d’usages, de tarifs, etc. Mais aujourd’hui, face à des impératifs écologiques et l’avènement de l’ère numérique, le timbre semble appartenir à une époque révolue.

Pour parvenir à subsister dans cette nouvelle période, l’administration postale française dépoussière ses services et annonce l’arrivée de la lettre numérisée. Ce choix stratégique induit la disparition de services tel que la Lettre prioritaire et son timbre rouge ou encore le format Ecopli et son timbre gris.

Toutefois la chose n’est pas aisée et de nombreuses questions émergent suite à ces annonces : Pourquoi faire disparaitre un service inclusif aussi pratique que sécurisé ? Quels sont les véritables objectifs de cette numérisation ? Qu’en est-il de la confidentialité ? Cette nouveauté ne va-t-elle pas accentuer la fracture numérique en France ?

Avant de nous pencher sur la disparition de l’emblématique timbre rouge, retournons à l’origine du timbre.

Inventé dans le cadre d’une réforme postale par Rowland Hill et James Chalmers, le timbre postal est d’origine britannique. Rowland Hill était un homme politique et un enseignant, mais avant tout une personnalité importante de l’histoire postale en Europe. Avec l’aide de l’inventeur, éditeur et homme politique James Chalmers, il bouleversera les régimes postaux européens avec sa proposition de Réforme Postale en 1839. La politique du directeur général de la poste britannique change alors de cap. Les frais de port ne sont plus payés par le destinataire mais par l’expéditeur et une baisse importante des tarifs postaux est initiée. Cette combinaison finira par séduire l’ensemble des britanniques avant de s’étendre aux régimes postaux européens.

Le tout premier timbre adhésif itinérant est émis en 1840 par les postes royales britanniques. Représentant un portrait profilé de la reine Victoria sur un fond noir, il coûte à l’époque un penny (environ 0,04€). C’est d’ailleurs du fait de ces attributs qu’il sera surnommé « Penny Black ».

Image Wikipédia : First world postal stamp ever issued : the Penny Black, Great Britain, 1840. Comptazine n°123

Dès 1837, une réforme similaire au système britannique est proposée en France. Toutefois, il faudra attendre 11 ans pour que celle-ci soit pleinement établie. C’est Etienne Vincent Arago, homme politique français, qui surmontera la résistance de l’administration des postes face à la réforme. Le projet est voté et adopté à l’Assemblée nationale le 24 août 1848. La réforme entre alors en vigueur en France et les frais de port à payer sont fixés à 20 centimes d’euros.

Le premier timbre français est alors émis le 1 janvier 1849. Il reprend alors les caractéristiques visuelles du timbre britannique avec un fond noir et un portrait profilé représentant -non pas la reine Victoria-mais Cérès divinité romaine de l’agriculture.  

Image Wikipédia : First french stamp : the 20 centimes Ceres 1849. Comptazine n°123

A sa création, le timbre est exclusivement vendu dans les bureaux de poste ou par les facteurs. Aujourd’hui, on peut en trouver dans les grandes surfaces, dans les magasins de proximité, dans les bureaux de tabac, etc. Depuis sa création, le timbre s’est largement démocratisé en devenant l’emblème de la correspondance papier.

Lors de sa création, le timbre postal est identifié grâce à de multiples informations. Il possède au premier plan une illustration décorative qui aide à l’identification du pays émetteur de celui-ci. Cette illustration a également une dimension esthétique pour l’expéditeur, le destinataire ou encore le collectionneur philatéliste.

En bordure on retrouve l’ensemble des mentions nécessaires à la légalisation du timbre. Tout d’abord, le nom du pays émetteur en écriture latine est imposé par l’Union postale universelle. Cette règle a pour unique objectif d’assurer le bon acheminement des envois à l’étranger. En second, c’est la valeur du timbre qui doit être visible afin d’attester que l’affranchissement suffit à l’expédition.

On retrouve également d’autres mentions en fonction des pays et de leurs lois. Par exemple, l’inscription « La Poste » (entreprise postale française) est souvent présente sur les timbres en France. Le nom de l’auteur de l’illustration centrale peut également faire l’objet d’une mention sur les bords. Enfin, le nom de l’imprimerie est parfois inscrit dans la partie inférieure du timbre.

Différentes variétés de timbre voient le jour au cours de l’histoire postale française. 

• Les formes

La forme quadrilatère est la plus répandue pour les timbres-poste. Le rectangle est la forme originelle du timbre comme l’indique le timbre Penny Black britannique repris par le 20 centimes noir français. Le losange, le carré ou le trapèze restent plus rare à l’échelle planétaire.

La forme ronde, très peu répandue dans le monde, est utilisée en France pour les timbres de commémoration. Par exemple, lors de la Coupe du monde de football en 1998, l’imprimerie française avait créé des timbres ronds en l’honneur de l’évènement.

Enfin, depuis l’arrivée des timbres autocollants, les systèmes d’impression et de découpe se sont diversifiés permettant de créer des formes diverses et variées. En outre, on peut retrouver lors de fêtes telles que la Saint-Valentin des timbres en forme de cœur.

• L’originalité d’impression

Grâce aux techniques modernes de l’imprimerie, les impressions postales sont de plus en plus originales, chose impensable lors de la mise en service du tout premier timbre postal. Voici quelques-unes des techniques développées que l’on peut retrouver aujourd’hui :

• • Impression en effet relief sur le papier grâce à la technique du gaufrage ;
  • Impression sur surface non plane avec l’encre gonflante ;
  • Impression du timbre avec un parfum sur le papier ;
  • Impression avec surface poreuse (type billet à gratter) ;
  • Impression avec encre fluorescente.

• Un ambassadeur de choix

Le timbre est devenu au cours des époques un emblème, un symbole populaire et universel. Grâce à cette visibilité, il est très vite devenu le support privilégié de manifestations ou évènements.  Autrefois très conventionnel, l’aspect du timbre change. Faire la promotion de jeux vidéo, de BD, d’évènements historiques ou sportifs, ou d’associations notamment, est devenu chose très courante lors de l’impression postale.

D’ailleurs, on peut même choisir sur internet de personnaliser ses timbres ou de les sélectionner en fonction de leur esthétique ou de leur message. Le timbre devient l’ambassadeur des envies du consommateur et offre aux philatélistes davantage de diversité et de rareté.

Aujourd’hui, nous connaissons les timbres verts, rouges, gris ou encore violets conventionnels avec une forme rectangulaire à l’effigie de Marianne. Mais la poste française souhaite évoluer et met en place de nouveaux services.

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Destinée aux envois nécessitant un suivi spécifique, la Lettre Services Plus est la nouvelle gamme de timbre commercialisée depuis le 1^er janvier 2023.

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Grâce à celui-ci, il est possible d’effectuer un envoi pouvant peser jusqu’à 2kg de manière sécurisée.
L’acheminement de la lettre est fixé à deux jours (du lundi au samedi en France métropolitaine) et le service associé propose un suivi détaillé – inclus dans le prix initial du timbre.

• Envoi automatique de notifications du suivi de prise en charge et de distribution ;
• Envoi possible depuis la boite aux lettres de l’expéditeur en France métropolitaine ;
• Compensation financière en cas de délai excessif de distribution.

Cette nouveauté est à la fois pratique et efficace mais cela a un prix. C’est le timbre le plus cher du service postal au tarif de 2,95€ soit 17,70€ le carnet de 6 timbres.

Depuis le 1 janvier 2023, la Lettre verte et la Lettre recommandée voient leurs délais d’acheminement passer de 2 à 3 jours.

Rappelons que l’usage de la Lettre verte est extrêmement répandu dans le quotidien postal des Français. Ce ralentissement de la chaine d’acheminement sera donc visible pour tous nos concitoyens. A cela s’ajoute le fait que le prix du timbre restera inchangé – 1,16 euro. 

En ce qui concerne la Lettre recommandée, elle est très souvent utilisée lors d’envois nécessitant une sécurité et un suivi précis de l’acheminement. Grâce à celle-ci, une preuve de dépôt et de distribution permet à l’expéditeur de s’assurer que son envoi est bien arrivé à destination. Bien que passant de 2 à 3 jours de délai d’acheminement, les services de la Lettre recommandée restent inchangés.

Ainsi, le service postal français prône la mise en place de nouveaux services et semble ralentir son système d’acheminement. Mais ce qui surprend le plus les consommateurs français en cette nouvelle année 2023, c’est la disparition du timbre rouge et donc de la Lettre prioritaire.

D’après l’entreprise La Poste, les français enverraient huit fois moins de Lettres rouges qu’il y a dix ans. Cet amenuisement s’explique principalement par l’avènement de l’ère numérique. Quel intérêt peut bien représenter une lettre face à un email ou un sms en termes de rapidité ? Les usagers du timbre-poste prioritaire ont largement adopté les moyens numériques pour l’envoi de courriers urgents. Que ce soit professionnellement ou dans la vie personnelle, l’ère du numérique a supplanté la correspondance écrite. Mais ce nouvel usage commence à peser très lourd sur les finances de l’organisation postale française.

Autrefois tournant à plein régime, l’ensemble de la logistique d’acheminement est réduit à des camions et des avions de moins en moins remplis. Pourtant, la facture énergétique d’une telle organisation ne semble pas diminuer, bien au contraire, elle est en augmentation. En effet, afin de garantir une livraison en moins de 24h, l’entreprise a dû développer un système d’acheminement comptant sur 3 liaisons aériennes et 300 liaisons routières. Le tout tournant à plein régime pour parvenir à assurer le service.

Avec une diminution conséquente du nombre de lettres expédiées en France, le système français doit revoir son organisation souvent assimilée à une « usine à gaz ». Afin d’économiser de l’argent mais également de l’énergie, l’entreprise compte sur un acheminement du courrier plus lent depuis janvier 2023. Grâce à ce ralentissement, le nombre de liaisons sera fortement diminué ce qui impactera directement les finances et le bilan carbone de l’entreprise. D’ailleurs La Poste vise une réduction de 25% de son bilan carbone d’ici 2030, soit l’équivalent de 60 000 tonnes de CO2 en moins par an.

La disparition de la Lettre prioritaire ne vise donc pas simplement à supprimer un service. C’est une proposition qui semble défendre un objectif à la fois financier et écologique. D’ailleurs, la lettre prioritaire ne disparait pas totalement car elle devient numérique : la e-Lettre rouge.

Afin de contrebalancer la disparition du service de la Lettre prioritaire papier, l’entreprise La Poste met en place le service e-Lettre rouge. Cette numérisation comporte des caractéristiques similaires à la première version. Toutefois, elle devrait permettre d’abaisser l’impact CO2 de la logistique postale française, ce qui n’était pas le cas du service précédent.

En somme, il existe deux options pour qu’une lettre soit acheminée en moins de 24h par le service postal :

• Envoi grâce au site laposte.fr : rédiger directement le contenu de la lettre sur l’interface prévue à cet effet ou importer un document ;
• Envoi grâce à un scan du contenu de la lettre : réalisé par un employé directement au bureau de poste ;

Une fois retranscrit sur la plateforme soit manuellement soit grâce à un document (scan, fichier texte…), le contenu de la lettre est imprimé dans une plateforme sécurisée proche du destinataire.

Cette procédure est appelée à être automatique et sans intervention humaine. La question de la confidentialité se pose face à un tel projet que ce soit lors de l’intervention d’un agent de la poste ou lors de l’impression finale.

Promue comme une véritable action écologique, la mise en place de l’e-Lettre rouge semble avoir plus d’impact sur les finances de l’entreprise que sur l’environnement.

Bien que l’objectif principal soit de permettre l’envoi d’une lettre aussi rapidement qu’un email – sans déplacement au préalable- un grand nombre d’usagers seront amenés à se déplacer directement au bureau de poste. Ces nouveaux déplacements ne correspondent pas à l’idée d’un système postal plus écologique. Alors qu’une personne pouvait en tout autonomie déposer sa lettre affranchie dans une boite postale près de chez elle, elle devra aujourd’hui se déplacer au bureau de poste.

Au-delà de cette augmentation de fréquence et de déplacement, les contenus numérisés seront rematérialisés lors de l’impression.

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L’énergie déployée à cette étape et la quantité de papier utilisée sont également problématiques dans cette campagne Green. De plus, l’ensemble des courriers dématérialisés seront conservés sur les serveurs de La Poste pendant un an. Or, le stockage de données sur des serveurs représente une consommation considérable d’énergie. 

Plus d’impression, plus de papier, plus d’énergie déployée dans les plateformes de pli – entièrement robotisées – voilà ce qui est aujourd’hui présenté comme une alternative moins énergivore.

Lorsque l’on regarde les avantages financiers de cette nouvelle logistique, certains points dénotent un avantage final plus économique qu’écologique. L’e-Lettre rouge est commercialisée à partir de 1,49 euro soit 6 centimes de plus que sa parente la Lettre prioritaire. Le service est donc plus cher alors que l’acheminement du contenu ne nécessite pas de nouvelles infrastructures ou d’investissements considérables. A cela s’ajoutent des déplacements à la charge de l’entreprise minimisés par les impressions réalisées au plus près du destinataire. Sans oublier la mise en place de la Lettre Services Plus qui offre les mêmes avantages que l’ancienne Lettre prioritaire avec un tarif deux fois plus élevé. 

L’objectif présenté comme une avancée écologique d’un système assez archaïque semble tendre vers un remaniement économique de l’entreprise.

Après l’annonce de la numérisation du service des Lettres prioritaires, des questions d’inclusivité et de confidentialité voient le jour.

Avant même d’envoyer le contenu de la lettre, il se peut que l’expéditeur reçoive l’aide d’un conseiller en bureau de poste. Afin de garantir la confidentialité de cette intervention, les chargés de clientèle seront formés à l’impératif de confidentialité. Le fait de scanner un document ne donnera en aucun cas le droit aux conseillers de lire le contenu de celui-ci. Au sujet de la confidentialité des courriers une fois numérisés, le processus d’impression sera réalisé automatiquement par des robots et les mises sous pli seront faites dans des locaux sécurisés. Mais malgré une volonté évidente de conserver cette confidentialité qu’offrait l’envoi d’une lettre postale, le doute subsiste sur le respect de l’impératif de confidentialité, après tout l’humain est de nature curieuse.

La sécurité des données conservées sur les serveurs de La Poste est également remise en question. Il est d’ailleurs légitime de se demander pourquoi conserver des données privées et confidentielles pendant un an une fois la lettre reçue par le destinataire ? Et que se passerait-il en cas de piratage ?  L’ère du numérique postal apporte son lot de préoccupations de la part des consommateurs inquiets des possibles fuites d’informations privées.

A cela s’ajoute la question de la fracture numérique et de l’inclusivité. Les personnes n’ayant pas accès aux outils numériques voient dans cette nouvelle e-Lettre rouge une nouvelle difficulté. Des bouleversements aussi importants que la numérisation de la poste entrainent une augmentation de la fracture numérique en France. Les personnes âgées, souvent déjà dépassées par l’ère du numérique, sont les plus à même d’avoir recours au service postal, loin des emails et des sms. Parmi elles, celles qui peuvent se rendre au bureau de poste y trouveront de l’aide, mais pour celles qui ne peuvent se déplacer aisément, la tache devient impossible. Autrefois, ces personnes pouvaient envoyer leur courrier grâce au passage du facteur, mais aujourd’hui il devient impossible pour elles de l’envoyer sans connexion internet ni mobilité. Afin de remédier à ce problème, l’entreprise souhaite mettre en place un système de « rendez-vous facteur » durant lequel celui-ci réaliserait un scan de la lettre au domicile de la personne grâce à un outil spécifique. Mais cette solution n’est pas encore active et rien ne garantit qu’elle le soit dans un proche avenir. 

Face à une volonté affirmée de moderniser grâce au numérique l’administration postale en France, le timbre ne serait-il pas voué à complètement disparaitre ?

Depuis le 1 janvier 2023, les offres d’affranchissement font l’objet d’un remaniement général. Après la disparition du timbre rouge, c’est au tour du timbre gris Ecopli. Celui-ci permettait d’acheminer en France des petits colis ou courriers en 4 jours de manière économique. Cette offre, très utilisée par les entreprises, ne sera plus commercialisée dès cette année. Toutefois, les unités professionnelles possédant une machine à affranchir pourront toujours le faire en Ecopli.

Le timbre vert est le système d’affranchissement le plus utilisé par les français. Economique et fiable, cette offre permet d’envoyer des lettres dites Lettres vertes en moins de 3 jours. Dans sa volonté de numérisation postale, La Poste souhaite mettre en place une forme numérique dès 2024. Le concept serait le suivant, un code alphanumérique de 8 caractères sera vendu en ligne. Une fois obtenu, il suffira de le recopier sur l’enveloppe pour affranchir la lettre.

Si ce n’est à disparaitre, le l’utilisation du timbre papier tend à se marginaliser dans les années à venir. Mais alors, que faire de nos timbres achetés récemment ? Sont-ils encore valables ou est-il temps de démarrer une collection ?

Que l’on se rassure, les timbres rouges et les timbres Ecopli gris seront toujours valables malgré l’arrêt de leur commercialisation. Pour les lettres Ecopli la durée sera la même qu’à l’origine soit 4 jours et les Lettres « prioritaires » seront distribuées sous 3 jours comme les lettres vertes.

Avec l’arrêt définitif de certains timbres, il est préférable d’en conserver ses derniers spécimens car qui peut déterminer la valeur qu’ils auront dans une décennie ? Rares, symboliques et avec une commercialisation suspendue, tout est en marche pour faire de ces dernières « Marianne » de véritables bijoux pour les philatélistes.