« Quels sont les termes précis d’utilisation du CV anonyme ? Peut-on recruter quelqu’un sur CV ? Pourquoi avoir mis en place cette possibilité ? Quel en est l’impact ? » Vous souhaitez être considéré pour ce que vous savez faire, vos aptitudes professionnelles et non pour ce que vous êtes : alors le CV anonyme est fait pour vous.
Le CV anonyme : une chance pour tous ?
Le CV anonyme est un CV qui supprime toute information d’état civil, c’est-à-dire qui ne comporte aucune information qui ne soit en lien direct avec l’emploi proposé : pas de date de naissance, pas de nationalité, pas d’adresse, de sexe, de photographie ou de situation familiale ; seules figurent les compétences, les diplômes.
Le CV anonyme vient des États-Unis où il a été créé dans les années 60 pour pallier les discriminations raciales notamment. En France, c’est l’article 24 de la loi du 31 mars 2006 « pour l’égalité des chances » qui instaure le CV anonyme, et devait le rendre obligatoire dans toutes les entreprises de plus de 50 salariés.
Il a été dit à l’époque, que la première discrimination à l’embauche était le traitement du CV. Selon les études de l’époque, les traitements des candidats lors des entretiens d’embauche, semblaient plus équitables que le traitement des CV : masquer les informations d’état civil du CV, serait donc une solution adaptée pour franchir cette première barrière.
Le CV anonyme à l’épreuve des faits.
Dès le départ, le CV anonyme est biaisé car la loi l’instaurait pour les entreprises de plus de 50 salariés. Or en 2010, ces entreprises représentaient 52 % des embauches, les 48 % restants se faisant dans les petites entreprises de moins de 50 salariés non soumises au CV anonyme. La moitié des embauches ne serait de toutes façons pas concernée.
Il faut attendre 2009 pour avoir une expérimentation nationale du CV anonyme. Entre novembre 2009 et novembre 2010, Pôle Emploi, Adecco Expert, Adia Manpower et 12 autres cabinets de recrutement sont mis à contribution dans 8 départements (Bouches-du-Rhône, Loire-Atlantique, Nord, Bas-Rhin, Rhône, Paris, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis), et 1005 recruteurs ont accepté d’y participer pour des CDI et CDD de plus de 3 mois.
Les questions auxquelles tente de répondre Pôle Emploi sont au nombre de trois :
- L’anonymisation du CV modifie-t-elle les chances de certains publics d’être retenus pour un entretien d’embauche, puis d’être recrutés, en particulier pour les personnes exposées à un risque de discrimination lié à divers facteurs (origine, lieu de résidence, âge, sexe) ?
- Quelles sont les conséquences du CV anonyme pour les entreprises en termes de coûts et d’adéquation du recrutement ?
- L’anonymisation des CV envoyés par Pôle Emploi conduit-elle les entreprises à privilégier d’autres canaux de recrutement pour pourvoir leurs postes ?
Les résultats de l’enquête à l’opposé de l’attente
Les résultats de l’enquête de Pôle Emploi sont publiés en juillet 2011. Contre toute attente, non seulement le CV anonyme ne modifie pas en moyenne l’accès à l’entretien d’embauche pour les femmes, les séniors et les jeunes, mais il réduit les chances d’obtenir cet entretien pour les candidats issus de l’immigration et les habitants des zones sensibles : la probabilité d’accéder à un entretien passe de 9,1 % à 4,6 % avec le CV anonyme.
Le CV anonyme pénalise justement ceux qu’il était censé protéger ! Les explications sont difficiles, mais il semble qu’en masquant des informations, l’interprétation soit rendue plus complexe : par exemple les « trous » dans un CV, c’est-à-dire les périodes de non activité, ou inexpliquées dans un CV, peuvent être interprétées comme des difficultés sociales, par exemple.
Plus globalement Pôle Emploi note : « Les effets du CV anonyme sur les chances de recrutement des candidats exposés à un risque de discrimination sont, en moyenne, statistiquement non significatifs. Ces effets sont néanmoins difficiles à détecter compte tenu, pour chaque candidat, de la faible probabilité d’accéder à l’emploi. Que les candidats soient potentiellement discriminés ou non, cette probabilité est de l’ordre de 2 % à 3 %, que le CV soit nominatif ou anonyme ».
Le seul point positif de l’expérimentation réside dans le fait que les recruteurs ont moins tendance à choisir des profils ressemblant au leur (« homophilie »). Un homme a tendance à choisir un homme, une femme à choisir une femme et un jeune à choisir un autre jeune. Le CV anonyme renverse cette tendance.
Le CV anonyme n’a aucun impact en termes de coûts pour les entreprises, ou en termes d’adéquation avec l’emploi, car les entreprises ne changent pas leurs habitudes de recrutement du fait du CV anonyme, par exemple en contournant Pôle Emploi.
Le CV anonyme aujourd’hui
L’expérimentation, qui a prouvé que le CV anonyme pénalisait ceux qu’il était censé aider, a refroidit les ardeurs de l’Exécutif. En effet, le décret d’application de la loi de 2006 qui devait donner les conditions d’application du dispositif, n’est jamais sorti. La Loi est donc en sommeil, le CV anonyme n’est pas obligatoire.
La généralisation du CV anonyme paraît aujourd’hui peu probable à moins que l’actuel Président n’en décide autrement puisque la généralisation du CV anonyme est un thème qui figurait parmi ses propositions de campagne.
Un recrutement différent ?
Le CV anonyme a permis de mettre en lumière les inerties du processus de recrutement, à savoir principalement l’homophilie qui veut qu’un recruteur recrute quelqu’un comme lui, et donc un processus de reconduction des compétences, alors que la créativité et les points de vue multiples permettent notamment en temps de crise, de trouver des solutions, des produits originaux…
Le CV n’est donc plus la seule et unique voie d’accès aux entretiens d’embauche. En effet, le « personal branding », c’est-à-dire la marque que le candidat crée autour de lui-même notamment grâce aux réseaux sociaux et aux documents qu’il publie, représente une nouvelle forme d’approche de l’employeur. Ainsi, aux États-Unis, 45 % des recruteurs utilisent les réseaux sociaux pour embaucher, alors qu’en France ils ne sont que 2 %.
L’autre pratique est le recrutement sans CV ni lettre de motivation. L’embauche repose alors sur des questionnaires et des mises en situation qui doivent évaluer les compétences, le savoir-faire, la motivation et les capacités du candidat.
Si l’expérience du CV anonyme s’est révélée contre-productive ou tout au moins inefficace, elle a permis de sensibiliser les recruteurs à des méthodes nouvelles de recrutement, de réfléchir à la diversification du personnel et peut-être de privilégier savoir-faire et compétences.
L’étude de Pôle emploi
L’évaluation de l’expérimentation du CV anonyme a été conduite et pilotée par Pôle emploi entre novembre 2009 et novembre 2010. Les résultats indiquent que le CV anonyme n’améliore pas, en moyenne, les chances d’accéder à un entretien d’embauche pour les publics susceptibles d’être discriminés. Son impact est même négatif sur les taux d’accès aux entretiens des candidats issus de l’immigration ou résidant en Zus/Cucs. www.pole-emploi.org