Quel est le fonctionnement et le modèle économique des comparateurs de prix en ligne ?
Lorsque vous cliquez sur une offre, vous êtes redirigé vers le site du marchand ou celui du distributeur, qui rémunère alors le comparateur. Le comparateur facture également un droit d’entrée sur son site aux distributeurs et aux marchands qui souhaitent être référencés. Le travail du comparateur se situe sur le plan du contenu. Il doit rafraichir régulièrement les informations associées aux produits affichés. Généralement, les comparateurs imposent aux marchands la transmission des informations les plus complètes possible. En aval, le travail de vérification est colossal, il en va de la crédibilité du comparateur.
La transmission des informations peut s’avérer difficile à mettre en œuvre compte tenu de la complexité avec laquelle se nouent les relations entre comparateurs et marques. Soit la démarche est initiée avec une équipe commerciale et les offres sont suffisamment bien packagées pour les accueillir, soit ce sont les marques qui viennent aux comparateurs, qui apportent une solution technique. De plus en plus de marques vendent en direct, mais elles sont toujours tenues de satisfaire leur réseau de distribution.
Remise en question du modèle
Les distributeurs ont longtemps considéré les comparateurs comme des eldorados numériques et ont quelque peu revu leur position, puisque les sites ne sont pas toujours des leviers idoines qui inciteraient inévitablement à l’acte d’achat. De plus, quelques produits continuent de défier tout processus de comparaison. C’est le cas des livres : nul besoin d’une connaissance exhaustive de l’offre pour franchir le pas ; et les vacances sont trop symboliques pour être confiées à des comparateurs. Les distributeurs ont pris conscience de cette limite. Avant, les distributeurs envoyaient l’intégralité de leurs catalogues, mais ils se sont rendu compte que la rentabilité n’était pas la même selon les produits. Il faut maintenant cibler et choisir comparateur par comparateur.
Cette remise en question du modèle induit également de possibles chambardements en termes financiers : Le modèle au coût par clic est simple d’usage, mais il requiert des analyses pointues pour déterminer les taux de conversion exacts. Auparavant, la plupart des sites travaillaient au coût par action, c’est-à-dire que le comparateur n’était rémunéré que s’il permettait un acte d’achat. Ce système a été mis de côté, car il était considéré comme trop complexe. Pourtant, il était plus juste et relevait davantage d’une logique de partenariat. Certains comparateurs ne souhaitent toutefois pas changer de modèle et ne passeront pas à la rémunération par action car le fait d’acheter ne relève pas du métier des comparateurs.
Objectivité questionnée
Mais même au coût par clic, le partenariat entre marque et comparateur n’a rien de facile, car il est émaillé de nombreuses incompréhensions. Ainsi, les responsables marketing ont-ils la lourde tâche de rendre visible les produits de leur entreprise sur les comparateurs. Ils en utilisent beaucoup : des gros, très axés sur les prix, et d’autres plus verticaux, plus petits et centrés sur le contenu. Les tarifs sont similaires, mais pour que leur offre soit réellement visible, certaines marques n’hésitent pas à payer plus cher. Ce classement se fait donc à l’enchère du commerçant, ce qui n’est pas à l’avantage du consommateur.
C’est ainsi que Kelkoo a par exemple été condamné en 2010 pour pratique déloyale et trompeuse. La Cour d’appel a même précisé que Kelkoo « ne saurait prétendre que la présentation des produits est objective et qu’elle ne s’apparente pas à une promotion de ces derniers ». Surtout, son moteur de recherche a été mis en cause, puisqu’il affirmait à tort que « kelkoo sniffer » recherchait les meilleurs prix. Le jugement fut partiellement cassé mais les traces restent : les visiteurs avaient déjà jeté le discrédit sur les comparateurs, et la Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel qui jugeait que le chemin par entonnoir que devait emprunter l’internaute pour appréhender la nature publicitaire du site était trop complexe, puisqu’il supposait d’ouvrir plusieurs fenêtres sur le navigateur.
La Direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) lance régulièrement des rappels à l’ordre et le secrétariat d’État à la Prospective et au Développement de l’Économie numérique a créé une charte et un label pour contrôler les sites de comparaison. Les critères d’obtention : fréquence de l’actualisation, transparence de l’affichage des offres, ou encore inclusion des frais de port dans la prise en compte des prix. En réaction, pour empêcher la triche, une nouvelle famille de comparateurs a vu le jour : des sites qui font la part belle à la parole du consommateur, grâce à un usage plus “web-social” d’Internet. Désormais, ce n’est plus la marque qui parle au consommateur, mais le consommateur qui discute avec le consommateur. Les marques voient ce discours leur échapper : les informations ne sont plus la propriété unique du distributeur. Tout l’enjeu est de faire en sorte que les gens parlent à bon escient de la marque.
Faire parler mais en bien, contrôler mais pas trop : l’équilibre peut être difficile à trouver. Les avis de consommateurs, s’ils permettent de contextualiser le commentaire, de générer un discours et une histoire, sont également sources de profondes inquiétudes pour les distributeurs. De quoi empêcher de dormir quelques directeurs marketing. Lorsqu’un internaute émet une critique virulente, l’e-commerçant peut rédiger un contre-avis publiable sur le site.
Et, lorsque les marques ne jouent pas le jeu et cèdent à la tentation de publier de faux commentaires favorables à leur image, les comparateurs assurent se montrer impitoyables. « Nous repérons vite les faux avis clients. Notre système de modération, à la fois physique et virtuel, nous permet de visualiser les anomalies, prévient Sylvain Billault, de Kelkoo. Le modérateur est rattaché à l’équipe produit, et non à l’équipe de communication, pour éviter tout contact entre lui et le client. Il arrive que certaines marques nous demandent de retirer des avis. Mais on refuse par principe, même si nous leur accordons un droit de réponse. »
Pluie de critiques
Dans le rapport aux clients, une question reste épineuse : que faire des informations qu’il transmet au comparateur ? Préférences, âge, situation géographique, habitudes d’achat… Les traces laissées par l’internaute sur la toile sont une mine d’or. Pourtant, tous les sites affirment en cœur ne pas y toucher, et ne jamais les transmettre aux annonceurs car ce n’est pas à eux d’enclencher le processus de fidélisation. Pourtant, il est clair que les comparateurs récupèrent les informations, un peu « à l’insu de votre plein gré ». Ces données sont un enjeu d’avenir, puisqu’être influenceur, conquérir de la visibilité s’avère désormais plus important que d’avoir un média acheté ou conquis. En outre, chaque internaute peut en faire l’expérience : laisser ses coordonnées sur un site de comparaison est l’assurance de se trouver assailli, les jours suivants, d’appels téléphoniques émanant d’acteurs du secteur consulté.
Pour brouiller les pistes et déjouer le piège de la comparaison, certaines marques ont trouvé la parade : multiplier les packages et les offres spéciales, offrir des accessoires, pratiquer des politiques floues quant aux frais de port. Elles s’assurent ainsi que rien n’est plus comparable. Pour le comparateur, les dés sont pipés. Un des problèmes des comparateurs, c’est l’idée d’un prix « tout compris » alors que les frais de livraison ne sont, par exemple, pas intégrés. Les visiteurs se rendent compte de la méprise lorsqu’ils réalisent que le premier produit surligné n’est pas forcément le moins onéreux. Résultat de ce jeu de dupes : le taux d’abandon du panier constitué est relativement important.
La situation devrait se compliquer encore davantage pour les comparateurs, avec l’arrivée sur le marché de Google Products, qui se présente comme gratuit, et ambitionne d’aller encore plus loin, en s’attaquant par exemple à la vente de billets d’avion en ligne.
Autre point délicat : la transparence, réclamée à grands cris par les consommateurs et les marques. Une des problématiques des marques, c’est qu’elles sont contraintes de faire confiance aux comparateurs quant au nombre de clics. Nous n’avons aucun contrôle sur ce qui nous est facturé, c’est une véritable boîte noire. Il y a toujours un doute : est-ce que l’on paie trop ? Pour donner le change et parer les critiques, Kelkoo s’est doté d’un système de comptage complémentaire. D’autres comparateurs en ligne ont recours à des outils de gestion afin de récupérer les informations issues des comparateurs, ce qui leur permet de calculer le taux de conversion. Impossible de connaître les meilleurs mots-clés, puisque les comparateurs ne les communiquent pas : les marques procèdent donc de manière empirique, en multipliant les tests.
Menaces technologiques
Un autre facteur de désorganisation plane comme une épée de Damoclès sur la tête des comparateurs : les algorithmes Google, sur lesquels tout le monde spécule sans les connaître. Être favorisé par le référencement étant absolument essentiel, la moindre mise à jour bouleverse les stratégies. Ainsi, lorsque le leader mondial des moteurs de recherche a décidé de privilégier les contenus originaux, les comparateurs, davantage portés sur l’agrégation de contenus, ont eu quelques sueurs froides. Ainsi, Twenga a dégringolé dans les classements, reculé de quelques pages, et perdu beaucoup de visibilité au final. Pour endiguer la chute, le site a entamé une procédure à Bruxelles pour « abus de position dominante », jugeant que Google faussait la donne. Quid de cette neutralité dont le géant américain se vante lorsqu’il s’engagera définitivement sur le marché ?
Mais surtout, ce qui va mettre au défi les comparateurs dans les prochaines années, c’est la question centrale du numérique : « Pour sortir de la crise, il va falloir repenser l’économie avec Internet à l’intérieur. Le Web ne passera bientôt plus par les ordinateurs mais par les téléphones portables. Il va falloir rationaliser tout ceci ». Le futur de la comparaison passera peut-être également par un modèle plus intégré. Le site de comparaison fera tout pour vous et comparera un service global. Le modèle de la comparaison peut aller plus loin, en nivelant et prenant le risque de considérer que tout se vaut.
Il faudra également prendre en compte des comportements à la lisière de l’acte d’achat. Combien d’internautes fréquentent les comparateurs uniquement pour se renseigner, et donc sans générer de vente immédiate ? Les ventes en ligne, dont les pourcentages restent mineurs, ne sont pas le critère le plus juste. Il sera aussi nécessaire de préciser combien de visiteurs ils contribuent à drainer vers les boutiques en dur. Si certaines marques, généralement haut de gamme, ne veulent pas être associées aux comparateurs de prix, pour beaucoup d’autres, il faudra limiter les catalogues et segmenter l’offre, le tout sans se disperser. La problématique financière gagne en importance. A vouloir être présent sur tous les sites de comparaison à la fois, les marques peuvent perdre la notion de rentabilité.
Ce qui pourrait bien se téléscoper avec la montée du multi-touch, où l’internaute est confronté en permanence à une multitude d’informations. Kelkoo, comme Ciao et d’autres, ne jugeront bientôt plus impunément. Le site Lescomparateurs.com, adepte de la mise en abîme, propose justement de comparer les comparateur…