Pierre KOPP est un économiste de renom, professeur à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, notamment connu pour ses travaux sur les économies dites parallèles, en particulier celle de la drogue. Pierre KOPP s’efforce de ne pas rentrer dans l’idéologie, la morale ou la loi, mais de donner une vision purement économique. Vision qui ne peut suffire à embrasser l’entièreté du problème, bien entendu, mais qui donne un éclairage justement différent.
Sa dernière étude : « les drogues sont-elles bénéfiques pour la France », parue dans la Revue Économique de septembre 2011, tente d’évaluer l’impact d’un ensemble de drogues légales et illégales (tabac, alcool, cannabis, héroïne, cocaïne, ecstasy) sur le bien-être, à partir de la méthode « coût/bénéfice » qui compare les coûts et les bénéfices actualisés de ce que l’on étudie.
LE CALCUL DU PLAISIR DES DROGUES
En effet, il n’est pas sans rappeler que les drogues procurent aussi des plaisirs, des bénéfices à ceux qui les consomment, dont l’auteur s’efforce de calculer leur « surplus du consommateur », et des profits à ceux qui les fabriquent. Mais aussi des bénéfices pour la société auxquels on ne pense au premier abord, comme les retraites qui n’auront pas à être versées par ceux qui en meurent (à mettre en rapport avec le coût de leur addiction).
Le modèle économique est donc simple :
Bien être = Bénéfice – Coût – Externalités + Variation du revenu de l’état
Le bénéfice et le coût sont ensuite directement représentés par les surplus des consommateurs et des producteurs. Rappelons que le surplus du consommateur est la différence entre ce que le consommateur serait prêt à payer pour obtenir quelque chose, et ce qu’il paye réellement ; ce surplus peut bien entendu être négatif. L’auteur fait dépendre directement les surplus du prix payé et des élasticités-prix.
L’IMPACT DU PRIX SUR LES DEMANDES
L’auteur a effectué une revue internationale des études sur les élasticités liées aux drogues car aucune n’existe pour la France. On y apprend que l’élasticité-prix du tabac est de -0.5, c’est-à-dire qu’une augmentation du prix de 1% du tabac provoque une baisse de la demande de 0.5%, donc peu sensible, d’où l’idée de pouvoir augmenter le prix du tabac régulièrement.
L’élasticité du cannabis est de -1.25, l’héroïne -1.5 et la cocaïne -1.8. Ces élasticités négatives signifient que la demande varie à l’opposé du prix. Une baisse de prix provoque ainsi une hausse de demande aussi forte que l’élasticité ; la baisse du prix de la cocaïne ou de l’héroïne a donc un impact fort sur la hausse de la consommation.
L’IMPACT SUR LES FINANCES PUBLIQUES
L’étude tente également un calcul de l’impact sur les comptes publics, en ces périodes de vache maigre, et de crise des dettes souveraines. L’alcool est le grand champion des agences de notations, puisque les auteurs évaluent que l’alcool rapporte globalement près de 5 milliards d’euros, alors que le tabac coûte près de 4 milliards et les drogues illicites coûtent 1.7 milliards.
Par globalement, on entend donc : Dépenses publiques de soins – dépenses de santé non effectuées du fait de décès prématurés – taxes encaissées + impôts non encaissés du fait des décès – retraites non versées pour cause de décès prématurés + dépenses de répression, prévention, recherche.
Je ne sais pas vous, mais moi j’ai un certain appétit pour le cynisme de la science économique : toujours sur l’alcool, l’auteur nous dit que « les soins des personnes affectées par une maladie engendrée par l’alcool sont moins coûteux que l’économie réalisée du fait de leur décès prématuré. Et qu’il faudrait examiner si le « faible » coût de l’alcool pour le système de soins tient à une faible prise en charge, à une sous-déclaration, ou à la trajectoire naturelle des maladies engendrées par l’alcool. »
LE COUT DES EXTERNALITES
Mais le nœud de l’étude est le calcul de l’impact des externalités.
Au rayon cynisme, la perte de la valeur des vies humaines est calculée selon la méthode du « capital humain », par la différence entre l’âge moyen du décès et l’espérance de vie, dont on actualise un flux de perte de revenu potentiel engendré par le décès ou les hospitalisations ou les incarcérations, ainsi qu’une perte de production entre le décès et l’âge de la retraite. J’adore.
D’autres coûts externes rentrent en compte, comme le tabagisme passif, et il ressort que le coût de l’alcool est de 26.776 milliards, du tabac de 25.743 milliards, et les autres drogues de 1.18 milliards.
Il est aussi intéressant de constater le coût des externalités par consommateur « problématique » selon la formule de l’article : 2 181 euros pour le tabac, 5 600 pour l’alcool et 7 154 pour les autres drogues. Je vous en laisse les conclusions.
RESULTATS DE L’ETUDE ET DEBATS
Au final, toutes les drogues ont un impact négatif sur le bien-être (ouf, l’économie va de pair avec la morale et la loi) : l’alcool d’environ 8 milliards, le tabac de 13.832 milliards, et les autres drogues un impact négatif d’à peine 1 milliard.
La conclusion de l’auteur reste dans les clous, en disant que si les coûts du tabac sont répartis sur les 12 millions de fumeurs, le coût de l’alcool se concentre sur les 5 millions de buveurs excessifs, et qu’il est donc important de cibler les politiques publiques en fonction de la nocivité des usages (soyez raisonnables), alors qu’aujourd’hui les politiques publiques sont calibrées sur des produits et non sur les usages de ces produits.
LA LEGALISATION DU CANNABIS RAPPORTERAIT 1 MILLIARD D’EUROS
Peut-être plus provocateur, suite à cette étude, dans une interview du monde du 03 août 2011, Monsieur KOPP annonce que la légalisation contrôlée du cannabis rapporterait 1 milliard d’euros.
A l’heure où nous cherchons des ressources pour l’état et de la sécurité dans nos rues, l’économiste pense qu’une taxe bien évaluée qui laisserait le prix du gramme à 5.50 euros (laissez nous vos commentaires sur ce prix !) ne ferait pas exploser la demande, éviterait les coûts de police, de justice, de répression (80 000 personnes interpellées par an sans effet sur la consommation, ni sur les prix) tout en mettant fin au marché parallèle.
Je termine en citant Pierre KOPP : « pour les économistes, les bonnes politiques sont celles qui minimisent le coût social, c’est-à-dire celles qui permettent d’améliorer le bien-être de la collectivité à moindre coût. Or celle concernant le cannabis coûte cher, pour un bénéfice incertain ». Bien être de la collectivité et cannabis, je vous laisse là.