L’évasion fiscale, 2ème partie

Retour à la première partie, L’évasion fiscale, fraude ou pas ?

 

Situation de l’évasion fiscale en France

Lorsque l’on sait que le budget annuel du pays est en déficit chronique de 70 milliards, on comprend que lutter contre l’évasion et la fraude fiscale pourrait être une solution toute trouvée. En effet, la fraude et l’évasion fiscale représentent entre 60 et 80 milliards d’euros selon le Syndicat national Solidaire Finances Publiques (ex-Snui). L’enjeu est énorme.

La fraude nationale est alimentée par la hausse de la part du travail non déclaré dans l’économie nationale (de 6 à 10 % du produit intérieur brut selon les estimations), le détournement des régimes fiscaux dérogatoires, les logiciels frauduleux, la fraude à la TVA (non déclarée, déduite à tort etc), le paiement en liquide de sommes non déclarées, la sous-estimation de la valeur du patrimoine etc.

Résultat: ces escroqueries réduiraient de 23 à 32 milliards d’euros les recettes de l’impôt sur les sociétés, de 15 à 19 milliards celles de l’impôt sur le revenu et d’un même ordre de grandeur celles de la TVA. Il faut dire qu’avec une charge fiscale de 65,7 %, l’Hexagone fait partie des pays du monde qui taxent le plus leurs entreprises, selon un récent rapport de la Banque mondiale et du cabinet PwC. Quant à l’exil fiscal, qui touche majoritairement des cadres et dirigeants redevables de l’ISF, selon Bercy, il accentue les pertes de richesses de la France. De fait, d’après le rapport du syndicat, l’impôt sur le patrimoine souffrirait d’un manque à gagner de 4 à 6 milliards d’euros.

La population, échaudée par les affaires, est consciente de l’ampleur de la fraude, payée d’une manière ou d’une autre par l’ensemble des citoyens (hausse du déficit et/ou des impôts payés par les contribuables honnêtes). Or, l’importance de la fraude et les moyens limités de la combattre contribuent à affaiblir le consentement à l’impôt, pilier de la vie en société.

Situation de l’évasion fiscale en Europe

La Commission européenne estime  que la fraude fiscale coûte 1 000 milliards d’euros par an à l’Europe. Ce chiffre est le manque à gagner à imputer aux multinationales établies sur le territoire européen pratiquant l’évasion fiscale.

Les multinationales jouent avec les impôts des États et des collectivités locales. Plus répandues qu’on ne le pense, les méthodes visant à payer le moins d’impôts possible sont loin de se limiter aux géants du numérique. Si l’OCDE et l’Union européenne s’efforcent de moderniser les règles de la fiscalité internationale, les failles persistent. Tour d’horizon des pratiques en vigueur. Entre les pays se joue une guerre fiscale visant à attirer les multinationales.

Les tactiques d’optimisation tournent autour de quatre grands thèmes : l’utilisation des redevances, la manipulation des prix de transfert, les charges financières et l’implantation dans un pays offrant un régime avantageux.

Qu’est-ce qu’un rescrit fiscal

Le droit fiscal, généralement compliqué et interprétable est source de discorde. L’État permet aux entreprises et aux particuliers de poser des questions quant à la manière d’interpréter le droit. Il est donc possible de demander à l’Administration fiscale de vous expliquer comment votre situation doit être traitée au regard des règles fiscales. La réponse de l’Administration fiscale est appelée un rescrit fiscal.

Un rescrit fiscal est donc un accord entre une entreprise et l’Administration fiscale pour sécuriser son niveau d’imposition. Certains Etats sont allés trop loin dans les largesses fiscales  qu’ils ont accordées. Certains de ces accords sont donc de véritables manques à gagner pour l’Union Européenne.

Des centaines de ces accords, signés par le Luxembourg, ont été publiés lors de scandales et avaient alors mis en évidence la façon dont le Grand-Duché a détourné ces rescrits pour accorder des avantages fiscaux à de nombreuses grandes entreprises.

La concurrence fiscale entre Etats Européens

La libre circulation des capitaux, des produits et des services est une règle de base du marché unique européen. Les grandes entreprises, les capitaux financiers, les personnes ayant les meilleures qualifications peuvent ainsi choisir beaucoup plus librement leurs lieux d’implantation, de résidence et d’imposition. Cela pousse les États à mettre en œuvre des fiscalités avantageuses pour attirer ces acteurs économiques sur leurs territoires.

Les avantages fiscaux proposés par certains États ou territoires étroitement liés à des États européens comme par exemple, les Iles vierges britanniques, le Liechtenstein voire l’Irlande, sont tels, qu’ils sont considérés par de nombreux observateurs comme des paradis fiscaux même s’ils ne font pas partie de la liste officielle et très restrictive des paradis fiscaux établie par l’OCDE.

Pour rester compétitifs, tous les pays jouent leurs cartes. Ainsi, la première ministre du Royaume-Uni, Theresa May, a déclaré devant le patronat britannique le 21 novembre 2016 qu’elle s’assurerait que son pays ait l’un des taux d’impôt sur les sociétés (IS) « les plus faibles des vingt principales économies mondiales ». Celui-ci doit passer de 20 % à 17 % d’ici à 2020. Le Luxembourg réduira le sien de 21 % à 18 % en 2018.

La technique des prix de transfert

Les prix de transfert correspondent à une cession de produits ou de services entre sociétés du même groupe. Étant donné que ce sont les entreprises qui fixent ces prix, il est facile de transférer les bénéfices d’une société A sur une société B. Ces charges peuvent réduire grandement l’assiette imposable pour une filiale et augmente le produit taxable pour la société-mère. Les prix de transfert concernent près de 60 % du commerce mondial.

Lors de la création des règles fiscales internationales dans les années 1930, les prix de transfert portaient sur des biens matériels, relativement simples à évaluer. Les choses se sont fortement compliquées avec l’internationalisation des échanges et l’avènement du numérique. Comment trouver le juste prix d’un algorithme de Google, d’un brevet pharmaceutique ou d’une prestation de service informatique ? Les administrations fiscales dans le monde entier ont beaucoup de difficultés à contrôler ces prix car elles manquent d’éléments de comparaison.

L’utilisation du levier de la dette

Lorsqu’une entreprise se finance par emprunt, les charges financières sont déductibles du résultat fiscal. Si cette règle vise généralement à stimuler l’investissement, elle constitue un moyen pour beaucoup d’entreprises de réduire leur impôt.

De nombreux montages continuent de se baser sur la déductibilité des intérêts d’emprunt en minorant les revenus d’une filiale par le biais de taux d’intérêt élevés. Celui d’Euro Disney est souvent pointé du doigt. Plusieurs experts ont souligné l’insuffisance chronique des fonds propres du parc d’attractions depuis sa création en 1992, avec, à la clef, trois recapitalisations. Le parc d’attractions verse non seulement des intérêts d’emprunt à sa maison mère, mais aussi des « royalties ” pour l’utilisation de la marque. Ces frais sont calculés sur le chiffre d’affaires (8,5 % en moyenne au niveau mondial) et non sur le bénéfice, ce qui contribue à réduire la rentabilité du parc en France.

Il en résulte que les possibles résultats de l’entreprise sont ponctionnés par la maison-mère, un résultat négatif conséquent qui ne dégage pas d’assiette imposable pour l’Administration fiscale française.

Certains États vont plus loin encore dans cette logique de déductibilité des intérêts d’emprunt. En Belgique par exemple, la déductibilité s’applique également aux capitaux propres. Les entreprises sont incitées à se recapitaliser avec le même avantage fiscal que par l’endettement et en profitent. La conséquence pratique, c’est que des groupes internationaux, en première ligne, les multinationales françaises, viennent placer leur trésorerie dans des sociétés financières belges tout en retirant des avantages fiscaux conséquents : selon les comptes déposés auprès de la banque centrale belge, EDF a pu réduire son assiette imposable de 300 millions d’euros en 2014, tout comme Total (134 millions), Sanofi (193 millions) ou Danone (158 millions).

Suite de l’article : L’évasion fiscale vu par Ikéa, Google… Comment lutter ?