Expatriation, émigration, mutation

L’idée séduit de plus en plus de Français. Environ 5 % de plus chaque année. Près de trois millions de nos compatriotes ont fait le choix de vivre en dehors de nos frontières hexagonales.

La Chambre de Commerce de Paris a constaté que si la tendance à l’expatriation des Français s’accentue ; le phénomène est moins marqué que dans les pays voisins. Ainsi, la population des Français à l’étranger est estimée de 1,5 à 2 millions avec une croissance annuelle de 3 à 4 % depuis 10 ans. Mais l’idée d’un mouvement massif de fuite des talents, spécifique à la France, ne semble donc pas correspondre à la réalité.

Par contre, second constat, il y a bien un changement majeur de comportements chez les jeunes générations, avec une nette accélération de leur mobilité, ce qui est une caractéristique marquante de ce début de XXIème siècle. Néanmoins, on ne peut parler, pour l’instant, que d’une augmentation de la mobilité globale et non de développement de l’émigration permanente.

Enfin, il importe de souligner que plus de la moitié des mouvements « d’expatriation » se fait vers des pays européens. Après cinquante ans de construction européenne, de mise en place du marché intérieur, d’une monnaie commune, de politiques publiques encourageant les échanges universitaires, peut-on encore assimiler cette mobilité accrue au sein de l’espace européen à de l’« expatriation » ? Ne faudrait-il pas plutôt se réjouir de voir émerger une forme de citoyenneté européenne ?

Être fonctionnaire dans les DROM-COM

Travailler au soleil, sur fond de paysages idylliques, avec en bonus, un salaire « majoré », des droits à congés et retraite supplémentaires, des impôts minorés… il faut reconnaître que la situation des fonctionnaires dans les DROM-COM, vu ainsi, a de quoi faire envie. Ces avantages, qui datent des années 50, ont, à l’origine, été mis en place pour compenser le décalage des conditions de vie entre les fonctionnaires de France et ceux les territoires ultramarins. Aujourd’hui, cependant, employeurs publics (fonctionnaires titulaires et non titulaires) et privés se plaignent des effets pervers du système, donnant à la réalité, un tableau loin de celui des cartes postales.

Dans les années 50, les conditions de vie dans les DOM étaient difficiles, les infrastructures essentielles (écoles, établissements médicaux et hospitaliers…) faisaient défaut et les produits manufacturés étaient rares et onéreux ce qui influait sur le coût de la vie alors particulièrement cher par rapport à celui de la métropole. Pourtant, la fonction publique de ces territoires devait recruter et renforcer les effectifs notamment, de cadres. Aussi, pour attirer les métropolitains et les jeunes diplômés locaux, un dispositif de majoration de la rémunération a été mis en place par la loi du 3 avril 1950 accompagné d’un certain nombre d’autres avantages financiers et en nature.

« Sursalaires », indemnités d’installation, congés bonifiés, retraite majorée… des avantages historiques multiples… À l’heure actuelle, les fonctionnaires titulaires des DROM bénéficient de « sur-rémunérations » : + 53 % à La Réunion, + 40 % à la Guadeloupe, Martinique et Guyane.

Statutairement, la rémunération (salaire) du fonctionnaire est fixée « en fonction du grade de l’agent et de l’échelon auquel il est parvenu, ou de l’emploi auquel il a été nommé ». Il existe le principe de parité entre les fonctions publiques ce qui signifie que les employeurs de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière ne peuvent attribuer à leurs agents, des rémunérations (ou des avantages équivalents) qui excéderaient ceux auxquels peuvent prétendre les agents de l’État occupant des fonctions ou ayant des qualifications équivalentes. 

Avec la loi du 3 avril 1950, en raison de la ” vie chère ” dans les DOM, il est fait dérogation à ce principe. Destiné, au départ, aux seuls fonctionnaires de l’État originaires de métropole, ce régime a été progressivement étendu à la quasi-totalité du secteur public. Aujourd’hui, alors que la différence des prix entre la métropole et l’outre-mer se situe entre 10 % et 15 %, dans les DROM, les fonctionnaires titulaires bénéficient d’une rémunération majorée de 25 %, qui a été portée successivement à 30 %, puis 40 % aux Antilles et en Guyane, et 35 puis 53 % à La Réunion. Dans les COM, les fonctionnaires bénéficient par exemple, d’une majoration de 108 % à Saint-Pierre-et-Miquelon ou en Polynésie française (pour les îles du Vent et les îles Sous le-Vent) et encore plus pour les autres subdivisions.

Enfin, une réduction de 30 % de l’impôt sur le revenu (40 % en Guyane) a été appliquée initialement aux fonctionnaires puis étendue à l’ensemble de la population des DROM.

A cela, se juxtaposent d’autres avantages, tels que : la « Prime d’Éloignement » ou « Indemnité d’Installation », une « indemnité particulière de sujétion et d’installation », le « congé bonifié » ou les « sur-pensions de retraite ».

Ces avantages sont maintenant critiqués

Trop « chers », « injustes » ou « inéquitables » sont en effet, des adjectifs qui reviennent souvent lorsqu’il s’agit de parler des avantages accordés aux « Dromiens ».

Le congé bonifié et les « sur-rémunérations » sont devenus des sources sérieuses de mécontentement. En effet, l’actuel différentiel de prix entre la métropole et l’outre-mer (de 10 à 15 %) est sans rapport avec l’ampleur des sur-rémunérations (de 40 à 120 % de majoration du traitement de base).

Ces avantages créent de fortes distorsions entre les agents titulaires et non-titulaires d’une même administration. En effet, les textes ouvrent ces avantages aux seuls « fonctionnaires titulaires » (recrutés par concours), les non-titulaires ne sont pas a priori concernés et le principe veut que, la rémunération des non-titulaires soit fixée contractuellement. La rémunération est donc fixée « par référence » à celle que percevrait un fonctionnaire qui assurerait les mêmes fonctions à niveaux de qualification et d’expérience professionnelle équivalents. Face à cette grande latitude, les administrations recrutent souvent plus de contractuels (60,8 % des agents), pour « moins cher » et tardent à les titulariser. Certains agents conservent donc leur statut précaire pendant des années, sans pouvoir accéder aux garanties de la fonction publique. 

Décrits comme trop coûteux par ses détracteurs, ces avantages sont d’ailleurs aujourd’hui fer de lance du changement. Dans un rapport d’information de 2003, le coût des « surrémunérations » pour les agents de la FPE (fonction publique d’Etat) dans les DROM était estimé à 839,4 millions d’euros, celui de la FPH (fonction publique hospitalière) à 16,8 millions d’euros et celui de la FPT (fonction publique territoriale) à 359,7 millions d’euros.

De nombreux rapports relayés par les médias pointent du doigt les avantages qui peuvent freiner la mobilité et l’avancement de carrière des agents publics :

  • le coût du droit au congé bonifié s’avère parfois être un élément de disqualification à l’embauche et à la mobilité en métropole pour les fonctionnaires ultramarins,
  • le poids de la « majoration » entraînant un niveau de dépenses de personnel très élevé, ralentit les avancements de grade et de promotion dans le département d’origine des agents et crée aussi un défi cit de personnel encadrant (A et A+)…

A cela, s’ajoutent d’autres reproches : ces avantages seraient la cause de l’image peu gratifiante des fonctionnaires auprès des populations locales (manque de légitimité, d’efficacité), ils entraîneraient un niveau de dépenses de personnel très élevé (de + 10 % en moyenne par rapport aux autres collectivités de l’Hexagone) et seraient à l’origine de la situation financière préoccupante des administrations d’outre-mer (dette importante, manque d’investissement du secteur privé…). Or, ces dernières sont les principaux employeurs dans ces territoires où le chômage, et notamment celui des jeunes, reste élevé et le niveau d’investissement faible.

Depuis 2009, les gouvernements successifs cherchent à revaloriser l’image des fonctionnaires ultramarins auprès des populations locales.

Les réflexions s’orientent vers une « normalisation » progressive de la rémunération des fonctionnaires. Côté recrutement et carrière des fonctionnaires, deux circulaires du 23 juillet 2010 ont été signées par les ministères de l’époque. Parmi les mesures : diversité des recrutements en catégorie A et A+ favorisée, utilisation de la visioconférence lors des procédures de sélection, ouverture systématique au niveau local des centres d’épreuves écrites des concours afin d’éviter les déplacements longs et coûteux…

La situation privilégiée des fonctionnaires ultramarins semble donc avoir vécu, les prochaines années annonçant sa fi n programmée. Gageons que cela soit au service d’un avenir meilleur pour le plus grand nombre…