La question que tout le monde se pose au moins deux fois par jour en France est existentielle. Qu’est-ce qu’on mange ? La réponse est simple : à peu près de tout ! En effet, tout ou presque tout est disponible en France avec plusieurs niveaux de qualité et plusieurs gammes. Tout dépend de ce que le consommateur est en capacité d’acheter. Après tout, c’est bien l’offre qui crée la demande, non ? Si l’on s’attache à étudier le budget des ménages, le coût des produits en grandes surfaces, les marges des intermédiaires et les rémunérations des producteurs, on saura à combien revient ce qu’il y a dans notre assiette. En outre, explorer le fonctionnement d’un supermarché d’un point de vue économique, devrait nous apporter un éclairage sur nos habitudes d’approvisionnement en denrées alimentaires et sur nos choix de produits en fonction de leur emplacement sur les rayonnages… Mais quelle est la tendance actuelle, les petites ou les grandes structures ?
Manger pour vivre ou vivre pour manger ?
Avant de savoir ce que l’on peut manger, encore faut- il savoir ce que l’on peut acheter et à quel prix. D’ailleurs, un des éléments les plus sensibles pour le consommateur, se trouve être l’évolution de son pouvoir d’achat, une préoccupation majeure de ces dernières années. Or, dans un contexte économique difficile, le pouvoir d’achat des ménages accuse une baisse pour la troisième année consécutive (- 0,7 % en 2011, – 1,8 % en 2012, – 0,9 % en 2013). Certains consommateurs cherchent plus que jamais tous types de solutions pour payer moins cher et obtenir le meilleur rapport qualité/prix.
Le regain de tension inflationniste sur les prix de l’alimentaire, notamment en raison de l’augmentation des prix des matières premières, conduit à une baisse de la consommation alimentaire en volume par habitant en 2012 (-0,7%). En cette période de crise, les dépenses alimentaires deviennent la variable d’ajustement, ce qui n’était quasiment pas le cas durant la crise de 1993. Cet arbitrage défavorable à l’alimentation s’explique par les effets de générations.
Loi d’Engel : “ Plus un individu, une famille, un peuple sont pauvres, plus grand est le pourcentage de leurs revenus qu’ils doivent consacrer à leur entretien physique dont la nourriture représente la part la plus importante ” Ernst Engel (1821‑1896), économiste et statisticien allemand.
(Un décile est un dixième de la population. En l’occurrence le D10 est le dixième décile le plus riche de France.)
Sources : INSEE, Enquête budget des ménages, calculs OFCE.
Où acheter à manger ?
Les concepts sont nouveaux dans les années 50 en France. D’abord le libre-service puis l’apparition du premier supermarché qui est implanté à Rueil-Malmaison par la société Goulet-Turpin. La notion de supermarché est ainsi créée et définie par la taille du magasin. On s’en doute, le commerce de proximité a largement reculé depuis les années 1970 avec l’essor des grandes surfaces commerciales. Ce phénomène est facilement compréhensible car le supermarché propose un éventail de produits plus large et son espace de stationnement est souvent important. Le principe est simple et reste inchangé, pour l’entreprise Goulet-Turpin, “il faut pouvoir répondre à tous les besoins de la ménagère”.
Or, depuis quelques années déjà, le phénomène est en train de se s’inverser. Selon la définition de l’INSEE, le commerce de proximité regroupe les commerces de quotidienneté répondant à des besoins courants ou de dépannage, autrement dit les commerces pour lesquels les achats des consommateurs sont fréquents. Le commerce de proximité est désormais essentiel pour répondre aux nouveaux enjeux de société. Selon des études récentes, les Français estiment que les commerces de proximité jouent un rôle fondamental dans l’animation d’un quartier. Les commerces de proximité sont donc à la croisée de plusieurs problématiques actuelles et apportent des solutions pertinentes : ils participent au renforcement du lien social, offrent une opportunité de développement économique et de création d’emplois, répondent aux difficultés liées au vieillissement de la population et au développement durable.
Au cours de ces dernières années, des politiques de requalification des quartiers les plus en déprise (cœurs de ville en situation de repli, zones périurbaines en reconquête, banlieues défavorisées…) ont été massivement engagées afin de répondre aux attentes des habitants et d’améliorer leur cadre de vie. La reconquête du tissu commercial de proximité a activement participé à cette dynamique, notamment dans les grandes agglomérations, en cœur de ville et plus généralement dans les quartiers qui forment la ville. Mais certains territoires plus ou moins excentrés de l’hyper-centre-ville connaissent des difficultés plus fortes et ont vu leurs situations commerciales se dégrader.
En premier lieu, la proximité peut redonner vie à des zones isolées en permettant aux habitants de consommer mieux et avec plus de praticité. Plus encore, pour les personnes âgées, les habitants des zones rurales ou de petites villes, le redéploiement même modeste d’une offre commerciale de proximité améliore leur vie quotidienne en leur donnant accès à des biens de consommation de tous les jours sans devoir parcourir des kilomètres. De plus, la société change et le profil des ménages tend vers une réduction de leur taille. Cette évolution ainsi que le nombre croissant des personnes seules, s’accompagnent d’un changement dans les modes de consommation.
En savoir plus : Les grandes surfaces commerciales, les supermarchés sont des établissements en libre-service vendant essentiellement des produits de grande consommation (alimentaire et autres) et dont la superficie se situe entre 400 et 2 500 m². les hypermarchés sont d’une taille supérieure à 2 500 m² avec un large assortiment en produits alimentaires comme en marchandises générales. Ils se situent à la périphérie des villes et tendent à pratiquer une politique attractive de prix réduits.
Du producteur au consommateur
Que ce soit un supermarché ou une boucherie, il faut approvisionner les étalages. Comme une petite notion d’économie ne fait jamais de mal, on peut définir un canal de distribution comme étant le chemin emprunté par un produit ou un service pour rejoindre un consommateur. Le circuit de distribution, quant à lui, regroupe tous les canaux.
Prenons l’exemple d’une barquette de steak-haché. Avant de se retrouver dans votre assiette, toute une filière a travaillé, de la naissance de la bête à la mise en rayon de la barquette. Dans le cas d’une viande d’origine française, le bovin étant élevé et abattu en France, l’éleveur est à l’origine du produit. Il s’agit surement d’une vieille vache, ou bien d’un taurillon (comprendre veau de 15 à 18 mois engraissé pour sa revente rapide) qui sera la base de votre steak-hachée. La bête est achetée par un négociant en bestiaux. Il est chargé de négocier les prix pour le compte des abattoirs. Ces derniers sont chargés de réaliser tous les contrôles sanitaires nécessaires et de tuer les bêtes. La viande est ensuite découpée. Ce sont les morceaux non présentables suite au désossage de la bête qui fournissent la matière première. À l’atelier de steaks hachés, les morceaux sont hachés, pesés, emballés et expédiés à la surface de vente.
Vous l’aurez compris, je ne m’aventure pas sur le sujet de la traçabilité, on le sait, il est extrêmement difficile pour un consommateur de remonter la filière.
Côté prix et schéma économique par contre, c’est extrêmement intéressant.
Tous ne sont pas d’accord pour mettre sur un piédestal les supermarchés pour les prix qu’ils proposent comparés à ceux affichés sur les marchés et dans les commerces de proximité. Cette remarque est intéressante. Pour comparer, il faut que les produits soient à qualité équivalente. Sur les marchés, les produits sont souvent frais et de grande qualité. Les produits à comparer en supermarché sont donc les produits à qualité comparable, souvent des grandes marques et occasionnellement en promotion.
Un non-écart de prix s’explique ! Il faut comprendre que le nombre d’intermédiaires dans le circuit de distribution joue beaucoup. Chacun prend sa marge, plus ou moins importante, on se retrouve sur un schéma aberrant où le producteur touche moins d’un tiers du prix final !
Les canaux sont au nombre de trois et se caractérisent par leur longueur :
Canal ultra court |
Canal court |
Canal long |
Aucun intermédiaire entre le producteur et le consommateur Producteur ⇓ Consommateur (Vente de vin à la propriété, par le viticulteur) |
Un seul intermédiaire entre le producteur et le consommateur
Producteur ⇓ Détaillant ⇓ Consommateur (vente de vêtements dans une boutique) |
Nombre d’intermédiaires
Producteur ⇓ Grossiste ⇓ Détaillant ⇓ Consommateur (vente de fruits et légumes au marché) |
A ces trois types traditionnels de canaux de distribution, on peut ajouter une forme moderne de canal long que l’on rencontre avec les hypermarchés :
Producteur —> Centrale d’achat —> Détaillant —> Consommateur
Dans une boucherie classique, le circuit est souvent court ou même ultra-court. Le boucher sélectionne lui-même ses viandes auprès d’un éleveur car il cherche de la qualité. Il en va de la réputation de son établissement ! Pour un supermarché, le cycle est souvent plus long. Les intermédiaires prennent leurs marges au passage. Le prix est donc majoré sans valeur ajoutée au produit. In fine, les économies d’échelles qui peuvent être pratiquées sur les gros circuits de distribution moins les marges de tous les intermédiaires, ne donnent pas un prix de produit forcément bas.
Il existe pourtant des solutions alternatives. Une nouvelle gamme de supermarchés se développe en Bretagne et tend à conquérir toute la France. Les supermarchés Ecomiam vendent du surgelé de produits uniquement français à des prix bien plus bas que ceux des autres grandes surfaces. Le principe est simple, suppression totale des intermédiaires et affichage transparent des rémunérations du producteur, du distributeur et de l’Etat. La qualité n’est pas forcément au rendez-vous, mais après tout, c’est comme dans tous les supermarchés. Mieux que des mots, retrouvez-ci-dessous la vidéo de présentation du concept, reportage signé France 2 (Conso : le supermarché qui se bat pour réduire les intermédiaires !).
La rentabilité à tout prix
Étant donné que le processus n’est pas généralisé, comment fait un éleveur pour rentrer dans ses frais, quelle qualité peut-il nous proposer dans une barquette de steak-haché à 11,52 € le Kilo ? Pour être éleveur et rentable, il faut maintenant être statisticien. En effet, les recommandations sont claires. Gagner de l’argent avec son élevage, c’est produire des taurillons légers et jeunes. Explications. Pour un taurillon laitier de type holstein, au-delà de 650 kg vif, l’indice de consommation est supérieur à 10 (plus de 10 kg de matière sèche pour produire 1 kg de poids vif), soit un coût alimentaire de l’ordre de 1,50 €/jour (8 kg de matière sèche de maïs et 2.7 kg de concentré). Compte tenu de la baisse de croissance en fin d’engraissement, la valorisation des derniers kilos de carcasse couvre tout juste ce seul coût alimentaire. Dans une conjoncture de prix élevé des aliments, il n’y a pas d’intérêt économique à produire lourd. L’objectif est donc de produire des taurillons laitiers de 17-18 mois avec un poids de carcasse de 340-350 kilos en race Holstein et de 370-380 kilos pour les Normands.
Et la qualité dans tout ça ? Si vous cherchez à avoir de la qualité, des vaches élevées au grand air dans le Jura et consommer responsable, il faut y mettre le prix. Il est aisé de comprendre qu’une vache plus mature qui a gambadé, sera meilleure au goût mais beaucoup plus cher à nourrir. Le principe est de prendre la surface de broutage donnée au bétail, la convertir virtuellement en potentiel de production de céréales et calculer un prix de vente fictif de la céréale en question.
Production fictive x PU Céréale x Nbre de récoltes ≤ Prix de vente Bovin x Nbre de bovins / Temps de production
Aujourd’hui, le prix d’intérêt du kilo de carcasse d’un taurillon laitier, avant amortissement des bâtiments et avant rémunération de la main d’œuvre, est de l’ordre de 3.00 €. Il s’agit du prix auquel il faut vendre les taurillons pour dégager un revenu au moins égal à celui permis par la vente de cultures produites sur les surfaces mobilisées par la production de taurillons. CQFD !
Tout change avec les labels et les certifications
AB, AOC, AOP, des labels partout comme s’ils en pleuvaient. Deux lettres sur un fond vert, ce label-là, forcément vous le connaissez. Propriété du Ministère de l’Agriculture, le label AB est le plus répandu en France. On le retrouve aussi sous la forme d’une feuille étoilée. Qui délivre le label ? Plusieurs organismes certificateurs, Ecocert, Bureau Veritas/Qualité France, etc. viennent chaque année faire un tour sur les exploitations pour renouveler (ou non) le label. Pour l’obtenir, en plus d’être dans les clous, un maraîcher bio de 3 hectares doit débourser 350 euros chaque année. En moyenne, la certification bio coûte 0,5 % du produit fini.
Mon poulet bio, il n’a picoré que du pain de Belledonne ? En matière d’élevage, le logo AB garantit une alimentation sans pesticides chimiques et majoritairement composée de céréales. Cette alimentation n’est pas forcément produite sur l’exploitation : elle peut provenir d’autres fermes biologiques de la même région. Enfin, quand Fifi est malade, il peut recevoir médicaments et antibiotiques, au maximum 3 par an.
Le Label rouge, regroupement exclusif de produits de qualité ayant du goût. C’est le haut de gamme des produits fermiers (près de 500 sont labellisés de la pintade au fromage). Les poules Label rouge par exemple doivent avoir picoré au moins 50% de céréales. Pour chaque filière, un cahier des charges est mis en place et homologué par les pouvoirs publics. Question goût, le label rouge ça se ressent. Le signe officiel est d’ailleurs obtenu après dégustation.
On retrouve évidemment ces surcoûts dans le prix de vente mais ces produits trouvent leur public. D’ailleurs le marché est en pleine expansion.
Comment savoir ce que l’on achète ?
De manière générale, ne soyons pas dupe ! Les produits à bas prix proposent une qualité minimum. Mais l’inverse n’est pas exact ! Les produits chers ne sont pas synonymes de meilleure qualité. Veillez toujours à garder votre esprit critique et à consulter les avis d’experts sur le net ou les revues de consommation.
Marque distributeur, grande marque, Bio, Label Rouge, pour proposer toutes ces différentes gammes de produits, les supermarchés ont des règles claires et construites. Concernant l’organisation générale du magasin, il faut penser à la circulation du consommateur, disposer les rayons proposant le meilleur rapport qualité/prix au centre du magasin pour permettre une mise en rayon rapide et facile et concentrer tous les produits d’appel (nourriture, boisson, etc.) au fond du magasin pour obliger le client à voir tous les rayons.
Côté rayon, il faut mettre un seul produit voire deux s’ils sont complémentaires, par emplacement et créer des effets de masse avec des produits pour les rendre plus visibles. Sachant que le client s’arrête très souvent au milieu d’un rayon pour choisir ses produits, c’est donc tout naturellement à cet emplacement que l’on y trouve les produits devant être mis en valeur. Selon cette même stratégie, les produits courants (souvent quand ils sont en promotion), sont placés en tête de gondole car c’est à cet endroit que le client pénètre dans le rayon. Les produits de la catégorie “premier prix” se trouvent relégués quant à eux dans la partie la plus basse du rayon et c’est dans la partie haute que l’on trouve les produits légers et volumineux. Dans la partie milieu-haute (face au regard) se trouvent les produits de la marque du magasin, dans la partie milieu-basse, se trouvent les produits de marques.
Un responsable de rayon d’un hypermarché nous a indiqué la façon dont les grands magasins utilisent aujourd’hui leurs statistiques de vente et les calculs qu’ils effectuent pour optimiser le placement de leurs articles. Ces calculs peuvent être faits pour un produit ou une famille de produits. Il est ainsi possible de comparer un produit à ses équivalents / concurrents ou de savoir tout simplement si un type de produit, une famille, est «à la mode».
Les données brutes sont : le CA, le taux de marge brute, le facing (le nombre d’articles visibles en «première ligne» sur le rayonnage) et le linéaire occupé. On en déduit les indices:
- CA, indice de sensibilité du CA = part CA en % / part de linéaire en %
- ICB, indice de sensibilité de marge brute
- IRL, indice de rentabilité du linéaire = bénéfice brut / longueur de linéaire pour ce produit
- IRP, indice de rentabilité du produit = Taux Marge Brute x Taux de rotation des stocks du produit / longueur de linéaire pour ce produit
On tire des conclusions simples de ces indices :
ICA |
ICB |
Symptôme |
Prescription |
>1 |
>1 |
Produits sous-représentés |
Augmenter leur part de linéaire |
<1 |
<1 |
Produits sur-représentés |
Diminuer leur part de linéaire |
>1 |
<1 |
Produits peu rentables |
Augmenter la marge |
<1 |
>1 |
Peu vendus mais bonne marge |
Accélérer la rotation du stock |
Arrêtons le gâchis !
Les produits sont tellement bien représentés dans un supermarché qu’il y a toujours des aliments dont la date de péremption est proche. Pour ceux-ci, fini les rotations de stocks dans le magasin, direction la poubelle ou les dons alimentaires.
Il faut savoir qu’un tiers des aliments produits pour la consommation humaine est ainsi perdu ou gaspillé, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). En France, chaque grande surface produit 200 tonnes de déchets par an et les Français jettent en moyenne entre 20 et 30 kg de déchets alimentaires chaque année, dont 7 seraient encore emballés au moment de passer à la poubelle. Un gâchis qui représente une perte de 400 euros par foyer chaque année.
Déjà 32 % des dons alimentaires viennent des grandes surfaces. Un projet de loi est même en cours pour obliger les supermarchés de plus de 1 000 m² à pratiquer le don alimentaire. Bien que l’application de cette loi ait un coût, cela poussera peut-être un supermarché ou un discounter de 700 m² à faire de même, de sa propre initiative.