Pour créer une société, il faut apporter du capital. Il n’existe que trois manières de faire cet apport.
- L’apport en numéraire : l’argent, le cash, le liquide, de l’oseille, du flouze…
- L’apport en nature : apports de machines, de voitures, d’un fonds de commerce, de parts de société, d’une marque, de vaches…
- L’apport en industrie : apport de connaissances, de travail, de services, d’un savoir-faire, voire d’une influence.
Ce n’est pas un contrat de travail !
L’apport en industrie n’est en aucun cas un contrat de travail ; on parle bien d’apport de capital. En contrepartie de la mise à disposition de ses compétences ou de son savoir-faire, l’apporteur en industrie reçoit des parts sociales de la société qui lui permettront de participer au bénéfices ou aux pertes de la société et des droits de vote aux assemblées comme tous les autres apporteurs de capitaux.
Pourtant, l’apport en capital ne concourt pas à la formation du capital : c’est-à-dire que si vous apportez 15 000 euros et que votre beau-frère effectue un apport en industrie de 10 000 euros, le capital social demeure de 15 000 euros et non de 25 000 euros.
Prenons un exemple concret : vous êtes passionné de jeux vidéos et décidez de créer une maison d’édition de jeux vidéos. Vous apportez 10 000 euros, soit toutes vos économies, dans la création de votre société et vous demandez à votre beau-frère de participer à cette magnifique aventure. Mais votre beau-frère, étant un radin de première, veut bien récolter une partie des bénéfices mais ne veut pas apporter un centime. Il vous annonce qu’il a travaillé 10 ans dans ce secteur et qu’il est un ami d’enfance du patron d’un réseau de distribution de jeux vidéos et qu’il pourra lui recommander de vendre vos jeux dans ses magasins et de négocier des contrats. Pour mettre au service de l’entreprise, ses compétences et son influence, il vous demande 40 % des bénéfices futurs et 40 % des droits de vote qui lui permettront de mettre un veto sur certaines décisions que vous prendrez pour la société et qu’il jugerait mauvaises.
A la création de la société, dans les statuts, il va être nécessaire d’établir une définition claire et précise de l’apport en industrie pour éviter les conflits futurs et préciser ce à quoi donne droit l’apport en industrie, dans notre exemple 40 % des parts sociales.
De véritables parts sociales
Si elles n’apparaissent pas en chiffres dans le capital, vous l’avez compris, les parts créées donnent de véritables droits à l’apporteur : partage des dividendes, droit au boni de liquidation, droits de vote. En contrepartie, il s’engage à effectuer le travail ou les services promis.
En revanche, les parts sociales représentant des apports en industrie, ne peuvent pas être cédées ou transmises car elles sont liées à la personne qui apporte son industrie ; le décès de l’apporteur en industrie ou si l’apporteur n’est plus en mesure de continuer son activité, entraîne la disparition de l’apport en industrie.
Les apports en industrie sont autorisés dans les sociétés suivantes :
- SNC (société en nom collectif)
- SARL (société à responsabilité limitée)
- SAS (société par actions simplifiées)
- SCS (société en commandite simple – pour les associés commandités)
- SCA (société en commandite par actions)
Et interdits dans les sociétés suivantes :
- SA (société anonyme)
- SCS (société en commandite simple – pour les associés commanditaires)
- SCA (société en commandite par actions)
Si l’associé décide de quitter la société volontairement, deux hypothèses se présentent :
- soit rien n’a été prévu dans les statuts, il n’a en principe droit à rien. Ses parts sont purement et simplement supprimées et il doit respecter un délai raisonnable pour éviter tout préjudice à la société.
- soit une clause de retrait a été prévue et on peut imaginer toute forme de rémunération pour cette sortie.
Il est fortement recommandé de prévoir le retrait imposé de l’apporteur en industrie par une clause qui peut être considérée comme une clause d’exclusion. En effet, rémunérer un apporteur en industrie dont le savoir-faire est obsolète ou qui n’a plus les qualités requises (il a été exclu de l’ordre des médecins par exemple) pose problème.
L’évaluation de l’apport en industrie
Comment déterminer ce que vaut ce fameux apport ? Deux critères au moins doivent être pris en compte pour déterminer la valeur :
L’approche de valeur intrinsèque : ça vaut ce que ça rapporte. On va alors en passer par la mise en œuvre de la méthode d’actualisation des flux de trésorerie futurs. On va estimer les flux de revenus futurs et les ramener à une valeur actuelle par une méthode d’actualisation avec un taux qui tient compte des risques liés à la réalisation des flux et diminués des éventuelles rémunérations et dividendes versés à l’apporteur de capitaux.
L’autre approche est une estimation de ce qu’aurait dû dépenser la société pour acquérir ce service ou ce savoir-faire. Par exemple, il s’agit de déterminer combien il aurait fallu payer des ingénieurs pour réaliser le même travail technique que l’apporteur en capitaux.
Sur ce point, le législateur a bien fait les choses car il est possible d’évaluer les apports en industrie dans un délai déterminé. Les statuts peuvent « déterminer le délai au terme duquel, après leur émission, ces actions font l’objet d’une évaluation. » selon le code du commerce (art L.227-1). Puisque l’apport en industrie se fait à exécution successive, c’est dans le temps qu’on voit les effets de l’apport. Il est donc logique de prévoir ce délai qui permet une évaluation plus objective. Les statuts peuvent également prévoir la fréquence du renouvellement de cette évaluation, par exemple tous les deux ans, suite au dixième contrat etc.
Outil ancien, peu utilisé et pourtant moderne
L’apport en industrie est un outil très ancien : le code d’Hammourabi, rédigé par les babyloniens en 1750 avant Jésus-Christ prévoit l’apport en industrie. Il était déterminé entre le négociant et son commis qui réalisait le commerce dans des pays éloignés. Le commis mettait à disposition ses aptitudes commerciales, ses relations avec le pays où il allait prospecter, ses expériences en voyage. Plus proche de nous, c’est dans le code civil de l’an VIII (1800) qui prévoyait « que chaque associé apporte quelque chose d’appréciable, soit de l’argent, soit tout autre espèce de bien, soit son industrie ».
Pourtant, cela reste un outil très peu utilisé de nos jours, mais parfaitement adapté à l’idée que nous pouvons nous faire de la société et du capitalisme moderne. C’est une valorisation du capital humain, différente de celle du salariat, alors que ce qui fait la richesse des sociétés développées est bien l’apport en compétences du personnel. Les actifs des entreprises comptant de plus en plus d’éléments incorporels (marques, brevets…), la valeur de l’apport humain s’inscrit parfaitement dans cette logique.
L’apport en industrie peut devenir un levier de croissance pour les entreprises car c’est une alternative au financement classique et un moyen de motiver des collaborateurs et des partenaires qui possèdent des compétences rares voire uniques. Un réseau d’influence, une technique unique peuvent valoir bien plus qu’un apport financier.